Il aura fallu le succès colossal des deux premiers opus du Parrain (pour avoir la notoriété et le budget adéquats) pour que le grand Francis Ford Coppola puisse réaliser son souhait en 1979 : faire une transposition du récit Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad en pleine guerre du Viêt Nam. Et après cinq longues années d’écriture, après un tournage démentiel (changements d’acteurs, budget ayant doublé et enchaînement de catastrophes sur le plateau à cause des conditions de tournage…), le cinéaste est parvenu à livrer l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma (les critiques et les années lui donnant raison). Véritable chef-d’œuvre aux deux Oscars (Meilleure photographie et Meilleur son) qu’il est impératif de découvrir si vous ne l’avez pas encore vu, que ce soit dans son édition normale ou bien Redux (celle-ci rallongée de 49 minutes supplémentaires) ! Et c’est ce que vous allez comprendre en lisant cette critique !


Quand on parle d’Apocalypse Now, il y a toujours un moment qui nous vient en tête, même quand on n’a pas vu le film : la séquence d’attaque en hélicoptères rythmée par La Chevauchée des Walkyries. Hormis le fait que Coppola ait fait bon usage des moyens qui lui ont été offerts sur ce projet (de bons effets spéciaux) tout en misant sur son talent de metteur de scène en alliant bande son dantesque pour livrer une scène spectaculaire, cette dernière reflète à elle seule le but principal du long-métrage. À savoir montrer l’être humain dans sa folie dévastatrice la plus pure. Et pour cause, en quinze minutes, vous avez des soldats américains emplis de fierté et d’orgueil se mettant à saccager un village local en tirant dans le tas et détruisant au napalm le décor, le tout dans la bonne humeur (la mentalité des personnages, dont un officier ne pensant qu’à mettre pied à terre afin de faire du surf). Mais résumer Apocalypse Now à cette séquence serait une grossière erreur, car mis à part le côté guerrier de celle-ci, sa finesse d’écriture est le principal intérêt du film, sa moelle épinière.


Car rappelons (même si c’est déjà fait dans le paragraphe d’introduction) que le long-métrage est une adaptation d’une nouvelle d’aventure. Dans laquelle un jeune officier de la marine britannique, à la fin du XIXe siècle, remontait un fleuve africain afin de rétablir des liens commerciaux avec Kurtz, un collecteur d’ivoire ayant mystérieusement coupé tout contact. Et durant son périple, le héros va en apprendre plus sur le passé douteux et sombre de Kurtz, au point d’entrer dans son intrigante personnalité. Dans Apocalypse Now, Kurtz est un colonel ayant déserté (et qui est du coup devenu un fou dangereux selon la hiérarchie militaire) et auquel un capitaine est lancé à ses trousses pour l’assassiner. Dit comme ça, transposer l’histoire de Joseph Conrad en pleine guerre du Viêt Nam ne semble avoir apporté que certains changements au niveau de l’intrigue. Fort heureusement, ce cadre apporte une touche dramatique à l’ensemble.


D’une part pour évoquer en détail cette période de l’histoire des Américains que ces derniers tentent d’effacer de la mémoire collective (car parasitant leur image de « super-héros » du monde), mais sans succès. Profitant du voyage du personnage principal et de ses escales pour présenter diverses situations évocatrices de ce terrible événement (le spectacle de pin-ups, la déforestation abusive au napalm, les tueries gratuites, l’envoie de jeunes recrues…). Tout qui puisse mettre en avant la violence et les causes de ce qu’on appelle le traumatisme du Viêt Nam. Et en faisant cela, Apocalypse Now use de cette guerre pour parler de la folie humaine, de sa violence pour ne pas dire sa démence. Pour évoquer le fait que l’être humain, quand il est larguer dans un endroit où il n’y a plus de règles ni de civilité, juste mort et désolation, peut se révéler être le plus détestable des démons (il suffit de voir l’introduction du film, montrant le héros en plein état second alors qu’il n’est même pas encore sur le front). Et suivre cette remontée d’un fleuve vietnamien se révèle alors semblable à une douloureuse descente aux enfers spirituelle et viscérale, durant laquelle l’homme n’affronte qu’un seul adversaire : lui-même (il suffit de remarquer que les vietnamiens se montrent finalement très peu présents à l’écran, apparaissant telles des illusions créées de toutes pièces par la démence des protagonistes).


Deux qualificatifs que nous devons principalement au reste de la production du projet. À commencer par son tournage chaotique aux Philippines, durant lequel l’intégralité des comédiens ont dû donner du meilleur d’eux-mêmes non sans difficultés vu ce qu’ils ont vécus (surmenage, climat pas vraiment supportable, changements de dernière minute…) au point de rendre hautement crédible chacune des situations. Mais aussi l’ambiance instaurée par Francis Ford Coppola et son directeur de la photographie Vittorio Storaro, qui font d’Apocalypse Now une véritable descente aux enfers : on démarre par des images de carte postale (ce soleil couchant de toute beauté) et un humour à la fois noir et ironique inattendu pour finalement virer vers quelque chose de beaucoup plus sombre et dérangeant (à la limite du mauvais trip). La musique orchestrée par le cinéaste lui-même et son père Carmine Coppola reflète parfaitement ce changement de ton : on passe de l’énergie communicative de La Chevauchée des Walkyries à une atmosphère noire et lourde faite de compositions oniriques avec des chœurs.


« Apocalypse Now n’est pas un film sur le Viêt Nam, c’est le Viêt Nam » dira Francis Ford Coppola au sujet de son film. Une remarque qui s’applique aux conditions de tournage (le réalisateur avait tout de même perdu 40 kilos à tourner ce long-métrage !) mais également à ce qu’est le film : une sensationnelle représentation de cette guerre. Malgré quelques longueurs dans la narration qui viennent un peu gâcher l’ensemble, surtout dans l’édition Redux (le passage dans la plantation française est vraiment bancal et dispensable, cassant le rythme du film), Apocalypse Now reste l’un des films de guerre les plus aboutis, aussi bien au niveau de l’écriture que de son côté artistique. Une expérience qui ne laissera nullement indifférent, que le cinéma nous ait proposé en plusieurs décennies d’existence.

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le 3 nov. 2015

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