Le temps semble s'arrêter, seules les pales d'hélicoptères tranchent ce ciel de feu. Seule la nuit peut étouffer ces flammes, mettre fin à cette guerre, me ramener à la maison.
Mais la nuit ne vient pas ...
Les hommes tiennent le monde éveillé. Leurs torches et les flashs de leurs armes forment un nouvel astre, rouge sang.
J'aurais dû le savoir, la jungle ne dort pas, et le microcosme qu'elle forme n'a qu'un but, donner la vie, et la reprendre.
Le plus drôle, c'est qu'avant de vous tuer, la jungle vous transforme. La violence agit tel un parasite, une fois qu'on l'a rencontré, impossible de vivre sans elle. La folie aussi est tentatrice. Et quand on est prisonnier d'un monde timbré, elle est même salvatrice.
Derrière chaque palmier, un viet. Derrière chaque division, un village incendié ...
Ce fleuve d'eau croupie serait capable d'éteindre la flamme de n'importe quel homme. Heureusement que le napalm est là pour la raviver.
Mais qu'est-ce qu'on est venu foutre là ?
Quand on a pas à affronter les jaunes, c'est contre le manque de moyen, la hiérarchie, la terreur, voire même la bêtise humaine que l'on se bat.
... Les ordres sont simples, comme toujours. Et seul le résultat importe, comme toujours. Tuer un viet, c'est facile, de toutes façons, ils se ressemblent tous, en descendre un, c'est comme en descendre mille. Tuer un Américain, un héros de guerre qui plus est, c'est différent. Ça revient à avouer l'échec de l'occident, l'échec d'une idéologie guerrière, prétendument gardienne de valeur qui ne sont plus les nôtres depuis des siècles ...
Qui est l'ennemi ? Le bridé, qui se bat pour une doctrine qu'il ne comprend pas ? Le traître, qui fuit un pays qui l'a oublié ? Le loup noir en nous, ou je sais pas qu'elle autre connerie métaphysique ?
Non, l'ennemi, c'est la jungle. La jungle, et rien d'autre.
Ne dit-on pas qu'il faut garder ses ennemis proche de soi ? Cet ennemi, je l'ai compris il y a longtemps, ne cherche qu'une chose, survivre. Mais il sait très bien que quelque soit les litres d'essence déversés, nous ne pourrons jamais le tuer. Alors, il joue avec nous, comme un chat joue avec une souris avant de l'ouvrir en deux. Il nous corrompt, trouve nos failles, nos faiblesses, et nous retourne les uns contre les autres.
Nous, hommes. Nous, démons. Nous, bouffons.
Nous semons les graines de la mort derrière nous, versant le sang tels des gladiateurs, dans cette arène de lianes et de verdure, dans ce fleuve en feu, déjà écarlate, s'éclipsant dans l'horizon, se confondant avec le ciel. Et nous le faisons sans se poser de questions, pour satisfaire la jungle. La jungle et sa soif de terreur.
Nous sommes devenus l'instrument de mort de notre propre ennemi.
... Maintenant j'en suis sûr, la nuit ne viendra pas.
Mais peu importe, car au milieu de ces flammes, j'ai finalement trouvé mon foyer.
Et ni la folie, ni la mort, ni l'horreur, ne me feront en douter.