Il y avait lieu de se réjouir qu’un film hollywoodien s’attaque à la civilisation maya. Les peuples précolombiens connaissent rarement les faveurs du septième art. Les seuls Indiens à avoir une place dans l’imaginaire populaire sont ceux d’Amérique du Nord que les cow-boys s’évertuent à massacrer à longueur de westerns. Aucun long métrage évoquant les hommes de maïs n’avait disposé jusqu’alors de moyens financiers de l’ampleur d’ Apocalypto. On pouvait espérer une reconstitution historique haute en couleurs digne des meilleurs péplums, une façon de rendre justice à cette « antiquité » largement sous-représentée. C’était sans compter, hélas, sur le mysticisme étroit de Mel Gibson qui se livre à une caricature grotesque dont la portée raciste a visiblement échappé à la plupart des critiques.
L’épisode de la Conquête et l’évangélisation qui l’accompagne n’est pas le plus glorieux de l’histoire du catholicisme. Il serait sans doute vain d’évaluer ici le degré d’obscurantisme des prêtres espagnols ou de porter un jugement sur les massacres qui ont suivi la découverte du nouveau Monde. Force est de constater que de précieux manuscrits issus d’une culture ancestrale ont été annihilés au nom de la vraie foi. Sur des centaines d’ouvrages, quatre codex mayas seulement ont échappé aux flammes. On mesure l’étendue du désastre lorsqu’on sait que le Popol Vhu surnommé la Bible des Mayas est peut-être l’un des textes sacrés les plus anciens de l’humanité.
Or, Apocalypto tente de justifier les violences de l’évangélisation à travers une « mayannaise » indigeste qui dépeint une société indigène si inhumaine qu'elle mérite d’être exterminée, corps et âmes. L’action se déroule avant l’arrivée des premiers conquistadors. À la suite du saccage de son village par des soldats mayas, un paysan est conduit de force au sacrifice. Grâce à une éclipse, le héros réussit à échapper aux griffes de ses ravisseurs. Commence alors l’une des courses-poursuite les plus chiantes de l’histoire du cinéma qui s’achève sur un message simpliste particulièrement lourd à avaler: il est grand temps que les Espagnols débarquent afin d’interdire les sacrifices et d’inculquer un brin d’humanisme à ces vils barbares.
Faut-il souligner que l’Inquisition sévissait encore en Espagne à cette époque? Il n’est pas sûr, en ces temps obscurs, que les Européens aient été moins cruels que les Mayas. Pourquoi Mel Gibson évite-t-il de se pencher sur la question ? Peut-être a-t-il peur de découvrir chez les représentants de la vraie foi une fâcheuse inclination pour le sadisme? C’est d’ailleurs ce sadisme refoulé qu’on projette allègrement sur des personnages d’Indiens réduits au rôle de bourreaux abrutis. Rien de tel que d’innocents sauvages pour incarner ses inavouables fantasmes. Question torture, on est servi. Et vas-y que je te mette du piment sur la bite. Ça pique, hein? Hihi!
Mais il y a plus grave, d’une inculture crasse, le réalisateur confond la culture maya et World of Warcraft. La scène du sacrifice, filmée comme la mise à mort d’une corrida, accumule tous les poncifs du genre. Aussi étrange que cela puisse paraître, le martyr offrait avec joie sa poitrine au couteau d’obsidienne du prêtre. Se faire arracher le cœur pour nourrir les Dieux était un honneur réservé aux aristocrates, héros, guerriers ou champions... D’ailleurs, le suicide n’était pas un acte interdit et on osait même vénérer Ixtab, déesse de la mort par pendaison. Un réalisateur honnête aurait dû tenter de saisir cette spiritualité qui nous dépasse. Guidé par une mauvaise foi rance, Mel Gibson, se contente de pomper grossièrement Tintin et Milou, en mettant en scène une éclipse qui oblige les prêtres à annuler la cérémonie. Dans le Temple du Soleil, la bande-dessinée d’Hergé, l’action se déroule au Pérou chez les Incas qui vénéraient le Soleil, figure centrale de leur culte. Il n’en va pas de même chez les Mayas clairement polythéistes. Aussi savants que les Européens en astronomie, ils ne pouvaient pas être surpris par une éclipse qu’ils étaient parfaitement capables de prévoir…