Leave the Mayas alone!

Formellement, le film est plutôt réussi. Les courses-poursuites dans la jungle sont filmées de manière énergique, et pour qui est aussi fasciné par la violence que Mel Gibson, Apocalypto réserve son lot de scènes décapantes. L'ambiance mystico-paillarde qui se dégage du film est parfois lourde, mais a toujours le mérite de capter l'attention.
Là où le bât blesse, c'est qu'Apocalypto a tous les apparats d'un film "historique", avec notamment une utilisation de la langue traditionnelle des Mayas qui participe de l'immersion. Mais, tout comme les costumes ou les décors, cet élément n'est véridique qu'en apparence, et permet surtout à Mel Gibson de justifier ses théories politiques (explicitées par le carton en début de film, qui explique que toute civilisation est la première responsable de sa chute -- une critique qui vise ici particulièrement les États-Unis). Le titre-même du film est un trompe-l’œil, puisque Mel Gibson le justifie en disant qu'il renvoie à un "recommencement", alors que la vraie traduction du mot "apocalypse" serait plutôt "révélation". Mais ce qui me pose vraiment problème, c'est que le film ne contient pas juste quelques trahisons historiques pour des besoins artistiques (tous les films le font), mais que Mel Gibson réécrit clairement toute l'histoire de la civilisation Maya, en en faisant des barbares sanguinaires qui se seraient pré-détruit eux-mêmes avant l'arrivée des colons. Sauf que même si les Mayas ont effectivement vu leur grande civilisation se déliter, cela ne s'est pas du tout fait à cette période, et surtout pas du tout pour les mêmes raisons (ça avait plutôt à voir avec l'écologie). Ils ne pratiquaient ni le meurtre de masse, ni le sacrifice dans ces conditions, et étaient globalement beaucoup moins brutaux et sauvages que ce que le film montre (selon ce qu'en disent les historiens).
Bref, la citation qui ouvre le film et qui constitue le fond de l’œuvre est bien jolie en théorie, mais jouer avec la mémoire d'une civilisation toute entière en la montrant sous un mauvais jour alors qu'elle est oubliée, je trouve ça plus que limite. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est du racisme sournois (parce que se faisant passer pour "authentique"), mais beaucoup de descendants des Mayas le pensent. Et en allant plus loin, on pourrait même dire que le fait d'avancer l'idée que les Mayas se soient pré-détruit juste avant que les Européens arrivent ressemble un peu à la justification que donnait l’Église à l'époque : "si ça a été aussi facile pour nous de conquérir ce continent, c'est parce que c'était la volonté de Dieu !"
En filant la métaphore, on pourrait même dire que, si Gibson veut faire un parallèle avec l'époque contemporaine, la "civilisation responsable de sa propre chute" pourrait renvoyer à d'autres civilisations que celle des USA (au hasard, l'Irak, contre lesquels ils étaient en guerre à l'époque), et que l'équivalent des USA dans le film serait plutôt les colons sur leurs bateaux. Encore une fois, faire des œuvres métaphoriques c'est bien, mais attention aux maladresses et à la façon dont on peut les interpréter...

Par contre, en tant que survival viscéral et brutal, c'est vrai qu'Apocalypto est vraiment pas mal. La prochaine fois, il faudrait juste que Mel ne feigne pas le réalisme historique et invente clairement un peuple voire un univers à part entière (un peu dans le même ordre idée que lorsque Alan Moore a créé les Watchmen pour pouvoir raconter une histoire de super-héros tel qu'il l'entendait vraiment), ça serait beaucoup plus honnête.