Enfin découvert ce film culte et méconnu de la fin des années 80, qui jouit depuis quelques temps (et plus encore depuis sa ressortie salle par Splendor et blu ray chez Blaq Out) d’une aura grandissante quasi improbable : C’est simple, j’en rêvais au moins autant que j’avais jadis fantasmé les ressorties de Sorcerer, de Friedkin ou de Don’t look now, de Roeg. Merci Joe Dante, puisque c’est lui qui initia l’élan vers la redécouverte de cette œuvre maudite (évincée, entre autre, par la sortie du dernier volet d’Indiana Jones) dont personne ne parlait, sinon dans un numéro de Mad Movies qui le classait dans une liste des 100 meilleurs films fantastiques.
Découverte à la hauteur de l’attente : C’est un film immense, complètement pété et toujours sur la corde raide, une odyssée nocturne cauchemardesque, sombre et picaresque, qui évoque aussi bien After hours, le kafkaïen Scorsese, que le cinéma de Joe Dante, que Terminator – Miracle Mile partage d’ailleurs la même société de production avec le film de James Cameron : Hemdale. Miracle Mile est un condensé (1h20) des peurs et dérives du monde occidental, mais aussi une course contre la montre (et la mort) irrespirable, mais aussi une histoire d’amour aussi explosive et éphémère qu’un champignon nucléaire.
Avant d’être (pour tous ?) le Dr Mark Greene d’Urgences, Anthony Edwards était Harry, ce grand romantique un peu paumé, tromboniste à ses heures quand il ne déambule pas dans un musée d’Histoire naturelle. Il va croiser la route de Julie (magnifique ouverture sur le souvenir de ce coup de foudre, filmé comme dans une excellente comédie romantique) pile le jour de la fin du monde, manquer son rendez-vous galant, décrocher malencontreusement le combiné d’une cabine téléphonique et courir chercher celle qu’il aime avant que tout ne disparaisse, en croisant sur sa route tout un tas de personnages secondaires magnifiques et de situations rocambolesques.
Le film dégage une vraie singularité, dans sa rythmique, faite d’instants frénétiques et d’accalmies très bizarres, par instant hyper poétiques, que viennent orner chaque personnage, chacun dans leur zone d’étrangeté, qu’ils soient volubiles ou silencieux. Qu’ils soient hôtesse de l’air, travesti, cuistot, culturiste ou simplement ivre, il y a des apparitions, des gueules, qui valent le coup d’œil, dans Miracle Mile. Il y a aussi le couple de grands-parents de Julie, magnifique et ce d’autant plus qu’ils sont l’idée de départ de Steve De Jarnatt puisqu’il a d’abord eu la volonté de raconter les retrouvailles d’un couple pendant l’apocalypse avant d’opter pour la rencontre.
Rien d’étonnant d’apprendre que De Jarnatt écrivit Miracle Mile en écoutant la bande originale de Sorcerer, signée… Tangerine Dream. Musicalement, Miracle Mile relève du génie. Le plus beau soundtrack du groupe allemand ! Honnêtement, je peux l’écouter en boucle sans m’en lasser. Cependant, si Tangerine dream impulse une dynamique inoubliable, c’est bien la réalisation de Steve de Jarnatt qui surprend, dès le générique d’ouverture jusque dans le final apocalyptique – dont la folie hallucinée n’est pas sans rappeler celle de la fin de Massacre à la tronçonneuse, dans un tout autre registre.
Il y a des déplacements qu’on n’est pas près d’oublier, sur les toits des voitures et des buldings, dans les égouts, d’une rue déserte à un carrefour saisi de panique. Des situations folles, dans un café, une station essence, un embouteillage, une salle de sport, un magasin, un ascenseur. Ruptures de tons, variation d’échelle, plans impossibles dans une ville endormie avant qu’elle ne soit réduite au chaos le plus total. Incroyable que le film tienne autant la route en se dispersant de la sorte.
Et puis Miracle Mile a cette particularité de contourner toutes nos attentes. Canular ? Trip parano ? Cauchemar ? Ou véritable apocalypse ? Au début on se pose vraiment la question. Puis on comprend assez rapidement que De Jarnatt ira au bout de son idée. Il enfonce tout dans la nuit : Cet homme, cette ville (un tout petit peu futuriste dans son architecture, d’ailleurs, non ?), cette voix-off, cette romance de la lose. C’est une poésie nocturne, aux frêles néons des coffee shop, aux larges boulevards déserts, aux carrefours guettés par la lourdeur d’un ciel noir qui vire bientôt ocre, trouvant son apogée lors d’une séquence d’émeutes dantesque.
Dingue de constater combien Miracle Mile (Appel d’urgence, en français) est un pur produit eighties, dans ses couleurs et son style, autant qu’il joue de clins d’œil aux films de monstres des années 50 et à la peur du nucléaire de la crise de Cuba, période durant laquelle l’auteur a grandi. Le tout en étant plus que jamais d’actualité aujourd’hui, pour ses trente ans. Une « bisserie » d’une telle envergure, franchement ça tient du génie, enfin du miracle. J’aurais tellement adoré le découvrir gamin. Fort possible que je le revoie très vite.