La première scène du film, joyeux travestissement, moment complice entre les deux amis nous met d'emblée face à un film qui va de front dans les relations entre les personnages que l'on devinent intenses et entières, sans concessions. La mère, Catherine Deneuve, s'immisce dans la relation comme le second instrument d'une partition pour la continuer, la faire briller. Elle arrive, elle rit, elle entraîne. Et déjà, elle ne réagit pas comme on s'y attendait, rien n'est comme on s'y attendait. L’ambiguïté se dessine déjà.
On sent directement la patte d'Honoré qui contribue au scénario avec Gaël Morel dans cette manière de parler plus que du deuil de la survie, de la manière de faire collaborer des personnages qu'on attendaient pas ensemble, de les filmer s'accrocher l'un à l'autre, vouloir être sauver par l'autre. Les relations sont ambiguës entre Camille et Franc, on ne sait jamais où ils vont, à l'image de leur sorte de pèlerinage incessant sur les lieux de l'accident, de leurs dialogues tantôt crachés à la figure, tantôt susurrés au creux d'une oreille. On est toujours en attente de quelque chose qui ne vient pas, le film s'arrête peut-être avant, qui sait ce qui va se passer ensuite. Camille, comme Ismaël des "Chansons d'amour" d'Honoré, choisit directement la dernière personne que l'on attend qu'elle choisisse simplement parce que l'ordre ne peut plus naître du chaos que la mort brutal entraîne. Il faut couper court, net.
On ne sait que dire encore sur Catherine Deneuve, sur son jeu qui, à mes yeux, se répètent depuis quelques années de film en film mais ici, elle a la capacité de réinventer son personnage à chaque scène, de le rendre affolé, apeuré tout autant que pétri de certitudes et prêt à tout pour survivre, devant se détacher de ceux qui veulent la ramener à l'ordre: soeur, mari, fille. Elle ne peut même pas tenir son petit fils dans les bras.
Parce que là aussi les personnages sont égoïstes plus préoccupés par leur propre survie que par une naissance nouvelle ou par le deuil des autres. Ce n'est pas un fils de substitution que Camille cherche mais à se fondre dans ce qu'à été son fils, à s'y mouler toute entière, abordant n'importe quelle bride de sa potentielle vie d'avant l'accident.
Elle s'accroche lancinante, ses scènes avec Franc sont magnifiques. Gaël Morel choisit avec ce film de mêler des relations atypiques, de faire aller ses personnages là où on ne les attend pas, les laissant inlassablement s'attacher à l'inaccessible, se faire du mal tout seul, y croire et y survivre. Il suffit parfois d'un regard déstabilisant (magnifique dernière scène du film) pour accepter qu'on ne comprendra pas ce qui se trame là dans des regards, des gestes merveilleusement mis en scène. Car ce qui est filmé ici, avec grâce, ce n'est pas le deuil, il est impalpable, mais plutôt la décision de survivre "après lui", et d'être à jamais changée.
C'est un cinéma qui dit que tout n'est pas toujours tracé d'avance et qu'à l'instar des images sur lesquelles nos yeux s'accrochent, les être se retiennent malgré eux comme entraînés par un flot interminable, celui de la vie.