Man of Steel et Batman v Superman : Dawn of Justice avaient divisés les fans et les critiques malgré des scores au box-office honorables, mais en 2017, Justice League à la genèse torturée sombre à la fois qualitativement et commercialement. Suite à cet échec et à la peur de la chute du DC Extended Universe (DCEU), la Warner Bros. demande à Walter Hamada producteur du Conjuring-verse, l’univers partagé le plus rentable de la firme, de reprendre en main le DCEU.
Walter Hamada recrute son réalisateur star James Wan qui a également prouvé son expertise sur des grosses productions puisqu’il a réalisé Furious 7, qui plus est dans des circonstances difficiles puisqu’il eut à gérer le décès au cours du tournage de Paul Walker. A lui de résoudre l’équation impossible : créer un blockbuster à la fois épique, fidèle au comics et léger qui pourrait bénéficier d’un accueil comparable aux films de MARVEL pour le super-héros Aquaman.
James Wan va donner à Aquaman une origin story, fidèle à celle des comics telle qu’elle a été redéfinie par Geoff Johns scénariste vedette de DC comics qui a signé la première mouture du scénario, remanié par David Leslie Johnson-McGoldrick scénariste de The Conjuring 2 sur demande de James Wan.
Aquaman sort en fin d’année 2018 et tente d’intégrer une histoire très riche dans un seul film de deux heures. Le récit est surchargé et semble se reposer sur la mécanique de l’intrigue plutôt que sur ses personnages.
La plus grande faiblesse du film est sans doute qu’on ne se sent jamais vraiment investi dans le parcours de Aquaman car le film ne prend jamais le temps de le construire au-delà de son aspect badass. Le scénario semble surcompenser le fait que le personnage fasse l’objet de nombreuses blagues, si bien qu’on ne ressent jamais vraiment son conflit intérieur, tiraillé entre ses deux mondes (Terre et Mer), ni la motivation qui le pousse à devenir roi pour les unir.
Jason Momoa n’est pas Arthur Curry. Il est le Aquaman du DCEU. Un géant chevelu mal dégrossi, perdu entre deux mondes. Entre deux blagues, la bande sonore se met au diapason, avec des riffs de guitare énervés qui appuient chaque entrée de notre héros. Il n’empêche, on comprend le choix de Zack Snyder : recruter un acteur d’origine océanienne qui a toujours été proche de la mer, cela coule de source. Momoa est un sacré personnage et son charisme physique est indéniable. Nymphe sortie d’une couverture de comics, Amber Heard est plutôt convaincante en Mera, même si l’alchimie avec son partenaire n’est pas toujours au rendez-vous.
Quant aux vilains, le demi-frère Orm Marius qui deviendra Ocean Master interprété par Patrick Wilson qui a souvent travaillé avec James Wan dans le Conjuring-verse, ainsi que David Kane qui deviendra Black Manta interprété par Yahya Abdul-Mateen II, ils sont trop caricaturaux et n’inspirent pas un intérêt excessif.
Heureusement, James Wan navigue avec une aisance incroyable entre les environnements et les atmosphères : l’arrivée à Atlantide, la scène viticole avec Mera, mais surtout la séquence quasi horrifique dans la Fosse. C’est son œil et son énergie qui donne une cohérence à cet univers, l’action est toujours lisible et d’une grande diversité.
Cependant, ma plus grande réserve est l’utilisation excessive d’effets numériques, de CGI. Je pense que cela va nuire au film dans le temps. Certains effets laissent déjà à désirer. L’Atlantide est une énorme structure de corail luminescente aux imposantes flèches qui bénéficie d’une technologie plus avancée que la nôtre, les costumes des Atlantes sont à la limite crédible. On était prévenu dès le préambule avec Nicole Kidman, actrice désormais défigurée par le travail sur son visage, et Temuera Morrison, au visage affreusement rajeuni numériquement également. Tous deux, aussi factices que l’univers dans lequel ils évoluent, font très peur.
Tantôt très premier degré, tantôt complètement second, parfois franchement laid, parfois superbe, l’ensemble du long-métrage joue ainsi sur cette faculté à flirter avec le nanard sans jamais s’en cacher. On touche presque du doigt un délire à la The Asylum qui serait devenu un blockbuster super-héroïque. Même la musique semble avoir été monté pour appuyer chaque lourdeur. C’est absolument idiot et on ne parvient jamais à voir l’intention derrière : Aquaman est-il un gros ringard ou a-t-il beaucoup d’auto-dérision ?
On est donc là, à ne pas trop savoir quoi penser d’un film qui n’a de cesse de nous présenter deux visages, or rien ne laisse à penser qu’il y a une dualité chez James Wan. Il nous aligne le magistral et le médiocre, souvent séparés de quelques secondes sans qu’on ressente autre contrainte que celle de tout mettre. Pour qui ? Pour le spectateur ? Pour le studio ? On a envie de dire pour lui tant on ne perçoit pas le métrage malade comme pouvait l’être d’autres productions du DCEU. Non, on est juste dans l’excès, la surenchère, le débile profond, le génial, l’anecdotique, le culte, le cool, le ridicule, le gênant…
Le film joue sur ses deux tableaux, avec des grands écarts parfois aberrants. La musique de Rupert Gregson-Williams, qui a déjà travaillé pour le DCEU avec Wonder Woman, offre quelques beaux moments, le compositeur Joseph Bishara, qui a travaillé sur le Conjuring-verse, apporte sa touche horrifique à la superbe scène de la Fosse Trench, mais ailleurs, l'utilisation d'un remix de Depeche Mode ou de Pitbull relève de l'infamie.
Aquaman laisse le terrible choix au spectateur de rire ou d'embrasser ce blockbuster outrancier. Mais James Wan assume tellement cette folie que l'aventure est souvent charmante, avec ses pieuvres percussionnistes, ses lacs sous-marins de lave ou ses délires Lovecraftiens. Quand il filme le baiser des deux héros, c'est littéralement sur fond de gigantesque feu d'artifice, dans un travelling qui semble gentiment se moquer du cahier des charges hollywoodiens. Le signe que derrière cette production, il y a bien un réalisateur. Pas en pleine possession de ses moyens, vu les enjeux de studio, mais bien plus présent que dans quantité de films du genre.