Home, sweet home : alors qu’on attend d’elle qu’elle vende son appartement, comme l’on fait tous les résidents de son bloc en bord de mer destiné à la démolition pour un projet flambant neuf, Clara refuse.
Cet espace, c’est l’intégralité de sa vie : une discothèque vinyle qui dit la grandeur d’un passé et de sa profession de critique musicale, une galerie de photos, des souvenirs et des rêves ; l’émergence d’une nouvelle enfance, qui fait d’elle une grand-mère lumineuse, et la sensation, surtout, de ne n’avoir aucune raison de plier face à un consortium froid et vénal.
Ainsi, Clara reste. Le film repose tout entier sur cette fixité, soulignée par le visage de sa grande comédienne, Sonia Braga, aussi inflexible qu’autoritaire, et au-delà duquel on lit les blessures d’une vie complète. Autour de ce pivot, une hostilité patiente et discrète s’organise, pour obtenir le consentement à son exil. Pernicieux, les promoteurs ne reculeront devant aucune méthode, des nuisances sonores ou matérielles, accroissant la colère froide d’une femme qui se voit contrainte d’accueillir dans son intimité les dérives d’une société toute entière. Un deuxième cancer, en somme, après celui dont elle était sortie victorieuse.
De nombreuses qualités permettent au film d’être touchant et d’entrer en empathie avec ce personnage qui n’est pas dénué lui-même d’ambigüité, notamment en termes d’appartenance sociale. Les duos avec le jeune promoteur, rôdé à l’exercice fielleux de la négociation, sont notamment d’une belle intensité, et la navigation entre les époques permet d’enrichir l’enjeu initial d’un authentique portrait de femme.
Reste à questionner la direction que prend toute cette ampleur assez démesurée : pourquoi nous servir cette valse et sa langueur durant deux heures trente ? On comprend bien que le rythme du récit adopte le point de vue de sa protagoniste, et que émergence de la mémoire se fait par des détours. Mais les multiples directions s’engluent, et Kleber Mendonça Filho pêche par volonté de traiter tous les thèmes : l’amour, la sexualité, la maladie, la parentalité, la mémoire, la dimension sociale. Un dernier sursaut permet certes de retrouver les rails de l’intrigue initiale, mais pour mieux se figer dans un suspens un brin agaçant.
La tonalité est une chose : la mettre au service d’une dynamique qui permet un propos en est une autre. Aquarius est un beau portrait de femme, mais dont les errances desservent la volonté pourtant affichée de démonstration dénonciatrice.