Je fais partie des rares spectateurs français qui ont un rapport particulier avec "Aquarius", voire avec le cinéma de Mendonça Fillho en général. C'est que j'ai habité pendant près de trois ans à quelques centaines de mètres de son edificio Aquarius, et du front de mer un peu décati (à l'époque) de Boa Viagem. Plutôt que de l'émerveillement devant la description à la fois réaliste et transcendée du mode de vie d'une génération brésilienne (celle qui avait résisté à la dictature militaire, et été au cœur des mouvements intellectuels et musicaux des années 70), j'ai eu l'impression de retrouver avec nostalgie des gens que je côtoyais, que je connaissais, voire des amis. Et pour cela, pour ces deux heures et demi de pur plaisir (de la langue, des visages, des paysages, ...) je serai toujours reconnaissant envers Mendonça Filho. Maintenant, j'ai aussi l'impression que "Aquarius" bénéficie en France d'un effet positif un peu artificiel, largement dû à la méconnaissance profonde de la société brésilienne et de ses modes - très particuliers il est vrai, très éloignés en tout cas de ce que nous connaissons ici - de fonctionnement : car, contrairement à ce que certaines personnes lisent dans le film, il y a très peu d'allégorie à l'oeuvre ici, simplement le filmage juste de situations quotidiennes, voire banales, même lorsque l'on parle d'horreur économique, de magouilles autour de l'immobilier et de pression criminelle sur les membres les plus "faibles" de la population. Dans "Aquarius", Mendonça Filho se contente de répéter ce que tout le monde sait, voire ce que de nombreuses personnes vivent : la résistance contre la dématérialisation de la vie (et pas seulement de la musique, comme le dit l'excellent épisode sur le MP3) de la magnifique Sônia Braga est un sujet vital pour nous tous, à Recife pas plus et pas moins qu'ailleurs. Et l'émotion qui s'engouffre par tous les interstices du film, c'est avant tout le haut contenu émotionnel de la vie familiale brésilienne telle qu'elle est. Bref je suis sorti de "Aquarius" enchanté, mais pas particulièrement convaincu par le talent de Mendonça Filho, qui fait ici, à mon sens, un travail en deçà de celui, plus ambitieux, plus visionnaire, des "Bruits de Recife". [Critique écrite en 2016]