Quand Ben Afflige : Le cinéma pris dans ses contradictions entre fiction et réalité, critique du film Argo.
Sur le papier, une aventure (filmique) prometteuse : Des méchants iraniens barbus qui brûlent (première image du film) et piétinent des drapeaux américains ; une demi-douzaine de gentils américains moustachus un peu rétros (années 1980’s oblige) qu’il faut à tout prix sauver, quand des centaines d’autres sont pris en otage, et oppressés (tout le monde s’en fiche d’ailleurs) ; des canadiens gentils, souriants, volontaires, mais sans plus, qui se mouilleront quand ils seront devant le fait accompli, surtout pas avant ; un agent hyper-secret et hyper-dépressif de la CIA qui va se battre contre les méchants (au final, pas tant que ça), et donc contre lui-même également (au final, pas tant que ça non plus)… tout est prêt pour séduire le spectateur de base !
Cerise sur le gâteau, toute l’histoire est vraie ! A tel point, nous y reviendrons, que le souci de la vérité historique (dramatisée, rassurez-vous, bien dramatisée et forcée par la mise en scène) prend le dessus sur le souci artistique, ou plus simplement, le souci cinématographique, finalement absent. On se demande donc si Ben Affleck prend le parti de la fiction, ou du documentaire (et le générique de fin, malheureusement, fait clairement pencher vers le documentaire : « regardez comme mes images sont proches de la réalité, je suis fort, hein, hein, hein ?...») Il nous donne donc à voir pendant deux heures l’illustration molle et lente d’un fait historique intéressant au départ et original certes, et là réside le seul intérêt du film, sans rien ajouter : Pas de talent esthétique particulier dans les plans ; le spectateur suit sans être véritablement emmené ; le héros – joué par Affleck lui-même – malgré sa barbe bien taillée et ses beauuux yeux n’a pas le charisme pour nous emporter, d’autant qu’il s’efface peu à peu jusqu’à la fin. L’humour est porté par les deux personnages Hollywoodiens bien interprétés par John Goodman (évidemment) et Alan Arkin, il fonctionne… les 20 premières minutes, puis on se lasse vite du « Leitmotiv » humoristique redondant répété 6 ou 7 fois dans le film par les mêmes personnages, et drôle une fois seulement (à voir en VO, sinon, oubliez l’humour !).
Des qualités ? Allez… Citons la question des tensions entre Etats-Unis et Iran qui, en plus d’être d’actualité, est traitée avec une certaine finesse, s’efforçant de n’être pas caricaturale, et montrant bien le rôle des Etats-Unis dans leur choix politique de protéger le Shah tyrannique qu’ils ont aidé à mettre en place. Evoquons également, avec mesure, la mise en place du suspens à différents moments du film, notamment dans la séquence finale, réussie jusqu’à ce qu’elle soit rattrapée par de graves incohérences avec la réalité (un comble pour un film qui joue la carte de la vérité historique !). On sait que c’est une histoire vraie, mais on sait aussi que l’ultra-dramatisation sacrifie la vraisemblance sur l’autel du suspens. Bien sûr nous ne dévoilerons rien de la fin… Autant ne pas gâcher le peu de plaisir que l’on peut ressentir devant le film, mais demandons-nous : Comment y croire ? Et surtout, que penser du traitement de l’épilogue, empli d’une niaiserie qu’on n’avait pas revue depuis les grandes années du film-catastrophe-catastrophique ?
Bref, pas grand-chose à retirer d’Argo, simple mise en image sans intérêt d’un événement (osons-le dire… d’un fait-divers !) historique étonnant. Le « petit Ben Affleck illustré » n’apporte rien au monde, et ne vaut pas ses derniers films… Besoin d’argent ? Du temps à perdre ? Faut-il rappeler que la différence entre le cinéma et le documentaire, c’est toute la question de la fiction, de son rôle pour elle-même et dans la société ? Allons-nous dans les salles obscures pour voir le vrai, alors qu’Arte fait aussi bien ? N’est-ce pas la qualité du « regard » (du réalisateur, du spectateur), qui prévaut, et non pas de l’objet qui est regardé ? La caméra n’est-elle qu’un simple témoin, pire qu’un simple journaliste, posée là quasi « par hasard », se croyant objective et relatant 24 images par seconde ? Quand donc un bon réalisateur comprendra-t-il que c’est par la qualité de son scénario original qu’il se rendra véritablement intéressant ? Sans autre intérêt que l’Histoire, Argo participe donc selon moi à la crise que traverse le cinéma américain, incapable de pondre la moindre idée originale et préférant piocher dans le roman, ou pire, dans l’Histoire. Le cinéma a-t-il encore des idées neuves ? Il faut bien espérer. « Argo forget this film »