L’écriture spiralaire du scénario, qui segmente son récit en chapitres thématiques dans lesquels la chronologie linéaire est bousculée, confère à Anoko wa Kizoku une certaine profondeur qui, il faut bien le reconnaître, paraît un peu artificielle. Une telle pulvérisation produit deux écueils : la convergence forcée de faisceaux qui, sinon, auraient eu besoin de davantage de temps et d’espace pour se croiser, l’attachement plus morcelé aux personnages qui évoluent dans les ellipses, hors-champs. Pour autant, elle permet de confronter différents points de vue et de tirer des solitudes représentées une même méditation sur les dysfonctionnements des couples forcés, contraints par le poids des traditions et le cloisonnement des classes sociales au sein d’une ville-fantôme, une Tokyo qui se donne des airs et s’affiche pour les Jeux Olympiques.
Le film tire à boulets rouges non seulement sur l’aristocratie convoquée dès son titre, mais également sur une société japonaise qui entretient les inégalités comme marqueurs d’appartenance à une communauté spécifique. Il montre alors la difficulté éprouvée par les personnages à interagir avec autrui en harmonie avec ce qu’ils ressentent : assumer la solitude comme seul remède viable aux mariages arrangés et donc dépourvus d’amour, quitte à ce que l’amour naisse plus tard, une fois la séparation prononcée, lors d’une clausule magnifique accompagnée du thème musical joué au violon. Enfin une œuvre qui, après avoir montré l’errance intérieure et physique de femmes égarées dans des modèles qui ne sauraient leur convenir, fait le choix de l’indépendance et d’un célibat synonyme de liberté ! Loin d’elle, et de nous, la romance nunuche alliant pour toujours deux prisonniers consentants !
L’originalité de la mise en scène tient justement à sa façon d’éluder les passages obligés, comme le premier repas au restaurant qui n’a d’utilité narrative que dans le décalage introduit entre deux mondes en cohabitation mais incapables de communiquer véritablement. Yukiko Sode signe un premier film très réussi : talent à suivre.