Heureusement qu'Emir Kusturica est là pour faire des films originaux et poétiques. C'était ma première réaction quand j'ai découvert Arizona Dream. A l'époque j'avais à peine 16 ans, et pour moi le cinéma se résumait à des films d'action à la Michael Bay, à des comédies débiles pour ados, et à quelques films de Scorsese ou Tarantino. Arizona Dream a été un souffle d'air frais revigorant et fondateur. Un film qui a attisé ma curiosité sur toute cette branche qu'est le cinéma philosophique, et pour ça peut être que je l'idéalise un peu.
En tout cas il faut bien admettre que ma seconde réaction face à ce film a été : "putain, j'ai rien pigé". Non, j'ai rien compris, si ce n'est qu'il y'a quelque chose à comprendre que je n'ai pas compris. Vous me suivez? Bref, on s'est donné rendez-vous quelques années plus tard. Avec le recul je me dis que voir Arizona Dream à 16 piges et avec une culture ciné limitée c'est un peu comme s'attaquer à l'Everest quand ton activité sportive consiste à aller chercher le pain à deux rues de chez toi. J'ai revu ce film avec plus d'entrainement et de poil au menton, et cette fois je l'ai compris.
Kusturica nous parle du sens de la vie et du sens de la mort, de la signification de nos rêves et ce qu'ils disent de nous, et surtout du passage à l'âge adulte. A quel moment devient-on adulte? Quand on acquiert son indépendance? quand on est capable de se prendre en charge? Rien de tout ça. Petit indice : quand le flétan atteint sa maturité ses yeux cessent d'être du même côté. Ca parait clair, non? Autre indice alors : "Croyez bien que je suis navré pour mon neveu car j'espérais que son expérience sexuelle se passerait avec une femme qui sait faire la différence entre faire l'amour et baiser". Pour faire plus simple être adulte c'est être capable de voir les choses qui nous entourent avec lucidité. Etre capable de se demander sérieusement si un simple poisson est a des choses à nous apprendre.
Pour jouer le rôle du jeune philosophe prometteur Kusturica fait appel à un jeune acteur prometteur du nom de Johnny Depp. Un acteur qui n'est pas encore devenu l'égérie de Tim Burton, et n'est pas encore enfilé le costume collant du capitaine Sparrow. Son rôle dans Arizona Dream et pour moi le premier de sa grande période, avant Gilbert Grape, Dead Man, et Las Vegas Parano. C'est aussi bon de revoir Arizona Dream pour se rappeler que Johnny Depp était sans doute le plus brillant acteur dans les années 90.
A ses côtés Jerry Lewis endosse à merveille le rôle du vieux sage qui enseigne la vie à son neveu. Il ne quitte pas pour autant ses mimiques et sa gestuelle qui ont fait rire le monde entier (ou presque) dans les années 50-60. Il est à l'image du film, à la fois sérieux mais plein d'humour. En cela il s'agit sans doute de son meilleur rôle. Un autre argument, s'il en fallait encore, pour découvrir ce chef d'œuvre de Kusturica.
Arizona Dream est un conte moral sur la vie, qui débute par une histoire de (sur)vie au fin fond de l'Alaska. Kusturica à beau se perdre dans quelques longueurs et séquences inutiles, il n'en reste pas moins qu'il livre ici un incontournable du cinéma poétique. Bien aidé par la partition parfaite de Boran Bregovic, et par l'inoubliable In the Death Car interprété par Iggy Pop. A la fois onirique, mélancolique, esthétique, et drôle, Arizona Dream est un des rares films qui tour à tour nous fait rire et pleurer tout en nous émerveillant grâce à des images magnifiques. Heureusement qu'Emir Kusturica est là pour nous faire rêver.