La théorie de la réception est née dans les années 70 : elle s’appuie notamment sur l’horizon d’attente du lecteur, qui se structure en fonction de ses connaissances préalables avant de se confronter à une œuvre : le genre auquel elle appartient, les thématiques qu’elle annonce, voire les œuvres précédentes appartenant au même mouvement littéraire ou au même auteur. Elle est évidemment applicable au spectateur de cinéma : je n’ai pas le même horizon d’attente quand je lance le nouveau Lynch, le dernier Dany Boon, un petit Ken Loach, un gros Béla Tarr ou le prochain Fast & Furious.
Quand on m’annonce un film de zombies à Las Vegas, je me prépare : un bucket de pilons de poulets, un soda king size, le caisson de basse sur On, et un éloignement de tous les végans de mon entourage : ça va saigner dans un abattage en règle, du plomb dans la tête en réponse au buffet à volonté de chair fraîche avec organes apparents. Je suis prêt aux concessions, au sang numérique encore moins poisseux quand il éclabousse faussement la caméra, aux resucées inévitables de références plus (Aliens, et Ocean eleven, évidemment) ou moins (le déjà bien ignoble Peninsula) honorables, et aux passages obligés du genre, avec sacrifices, trahison, team building, nuclear destruction et retournements de situation.
Des foules de boiteux au glaucome avancé, une scie circulaire, un décor sur les ruines du temple de la consommation kitsch et outrancière, je prends ; les innovations les plus WTF, je m’y prépare : un tigre zombie, un cheval zombie, un fœtus zombie, une cape zombie, des larmes de zombie, de la capoeira zombie, du yamakazombie, je m’accroche. T’étais prévenu.
La politique des auteurs est née dans les années 50, chez les critiques des Cahiers du cinéma, et notamment sous la plume de François Truffaut. Elle vise à donner au réalisateur un statut qui dépasse celui du simple technicien ou chef d’équipe, faisant de lui un véritable auteur, dont on retrouvera la sensibilité, les idées et les obsessions d’une œuvre à l’autre : une idée assez impensable à Hollywood, où les réalisateurs sont considérés comme des employés de studio interchangeables par les producteurs. Le concept a fait son chemin, et même l’usine à rêves a compris comment spéculer sur un tel parti-pris, en allant jusqu’à revendre un même film « plus proche » de son auteur qui aurait joui d’une « liberté artistique totale ».
Quand on m’annonce un film de Zack Snyder, je me prépare : du Vogalène pour les nausées sur les travellings circulaires et les ralentis outranciers, des verres correcteurs pour l’abus de longues focales et des balances de point, du sérum physiologique pour apaiser la rétine soumise à rude épreuve. Et le secret espoir de voir le pape du blockbuster s’affranchir d’un univers dans lequel il s’est embourbé pour retrouver du simple fun.
Et les promesses sont tenues, dans un prologue qui vous conditionne le cataclysme à une turlutte ordalique, une colonne de militaires et un générique qui convoque le fun (un peu trop plagié) de celui de Bienvenue à Zombieland. Ça dézingue, ça chante, ça fonctionne. C’est sans dialogues.
Parce que le versant maléfique de la politique des auteurs, c’est qu’elle donne des pépins supplémentaires au melon du créateur. Le gars n’a plus de garde-fou. Et le problème de Snyder, c’est qu’il aussi excessif dans le panache que dans l’écriture, qu’il confond depuis toujours grand film et long film (2h30, soit 60 minutes de gras saturé) et qu’on lui a lavé le cerveau avec les valeurs de la famille américaine au point qu’il ne sache plus imaginer une intrigue sans en faire l’apologie. Et que je me réconcilie avec ma fille après avoir trépané maman zombie, et qu’elle est volontaire dans un camp où elle va sauver d’autres mamans, et qu’on te fait le menu du food truck qu’on aura quand on sera heureux, et que je t’imagine une bromance mixte…Ah, et on oubliait, l’argent ne fait pas le bonheur, rappelle-t-en petit naïf quand des billets vont pleuvoir sur ton corps transformé en steak tartare.
Et Christine Angot en pilote d’hélicoptère, c’est trop demander au public. Il y a des règles.
Scènes d’action sans âme, personnages rivés à une galerie de caractères distribués par un algorithme, humour en pilotage automatique, dialogues à rallonge, CGI dégueulasse : en réalité, le contrat est rempli : Army of the dead est bien un film de zombies.