La sortie du Snyder Cut de Justice League a pu faire l’effet d’une belle revanche pour Zack Snyder. Le suicide de sa fille en 2017 avait abattu le réalisateur au point de le contraindre à passer la main sur la réalisation du film initial. Dépossédé de sa vision dark de la JLA par la Warner et leur immonde tâcheron Joss Whedon, Snyder aura gardé le silence pendant près de quatre ans tout en travaillant à son retour via la réappropriation de son film et l’appui d’une communauté de fans désireux de découvrir sa version. Imparfait mais terriblement généreux, le Snyder Cut réussit à conclure la trilogie Snyder sur l’homme d’acier tout en reléguant définitivement la copie bâclée de Whedon aux oubliettes. Et bien que Zack Snyder’s Justice League ait cartonné sur les plateformes de streaming, il a aussi paradoxalement entériné le divorce entre le réalisateur et la Warner.
Snyder est un emmerdeur selon les cadres de la major, sa vision de l’univers DC s’avère beaucoup trop coûteuse au vu des risques financiers et le peu de retour sur recettes qu’elle peut impliquer, et on ne verra donc probablement jamais cette guerre post-apocalyptique opposant les héros et vilains DC face au despote Darkseid.
Pas démonté pour autant, Snyder tambourinait déjà à la porte de Netflix avant de claquer la porte de chez Warner. La célèbre plateforme de streaming lui laissait les coudées franches pour concrétiser un de ses plus vieux projets, un film de zombie façon 12 salopards, qu'il préparait depuis plus de dix ans et qu’il n’avait pas su vendre à ses anciens patrons.
Sur le papier, et dans les propos du cinéaste, le projet Army of the Dead (à ne pas confondre avec le titre français de son premier film L’Armée des morts de 2004) avait tout d’alléchant : une équipe de mercenaires bad-ass profitant de l’apocalypse pour braquer un casino, un Las Vegas en ruines coupé du reste du monde, et des hordes de zombies new looks, plus proches des peuplades tribales de Ghosts of Mars que de l’antique mort-vivant romérien. D’autant plus qu’il s’agissait d’un retour aux sources pour le réalisateur, dix-sept ans après son excellent remake de Zombie, L’Armée des morts (Dawn of the Dead).
Ajoutez à ça la promesse d’un humour noir féroce ainsi qu’une esthétique décalée façon Suicide Squad, et vous comprendrez alors pourquoi les fans et défenseurs de Snyder attendaient de pied ferme son dernier film.
J’attendais ce film de pied ferme. En effet, Snyder reste à mon sens un des derniers véritables cinéastes de pur entertainment à savoir proposer des films aussi spectaculaires que visuellement ambitieux. Et puis à l’inverse d’un Michael Bay, qu’il a côtoyé sur les bancs de l’UCLA, Snyder n’a jamais eu besoin de secouer sa caméra dans tous les sens pour dynamiser l’action à l’image, ses séquences sont toujours lisibles, parfaitement découpées et cadrées, et bénéficient souvent d’un formidable travail sur la photographie. Il n’y a qu’à revoir son travail sur Watchmen pour s’en convaincre. Les détracteurs du cinéaste cracheront sur les cadrages en caméra portée de Man of Steel mais ce n’était au final qu’une façon pour Snyder d’expérimenter une approche visuelle plus immersive sans se reposer sur ses acquis.
Bref, j’étais vraiment prêt à l’aimer et à le défendre cet Army of the Dead, tant je pensais y retrouver le Snyder des grandes heures, lequel semblait vouloir revenir au genre de ses débuts. Seule la mention Netflix, pas toujours gage de qualité il faut bien avouer, semblait mal s’accorder au style flamboyant du réalisateur de 300.
Mais même le fan le plus indulgent doit savoir avouer quand un de ses cinéastes préférés se prend les pieds dans le tapis.
A ce titre, Army of the Dead fait un peu le même effet que le Suicide Squad de David Ayer. Prometteur dans son pitch et ses images, faussement cool dans son concept et aussi peu traumatisant qu’un Resident Evil de Paul W. S. Anderson, le dernier effort de Zack Snyder est en fait le plus gros ratage de son réalisateur, lequel semble ici avoir laissé chez Warner tout ce qui faisait la force de son cinéma.
Bourré de facilités et d’incohérences toutes plus flagrantes les unes que les autres, le script d’Army of the Dead confirme pour qui en doutait encore que Snyder n’est jamais aussi mauvais que lorsqu’il décide de mettre en forme ses propres scénarios. Sucker Punch le démontrait déjà en 2011 : bâti sur du vide, le film alignait quelques visions iconiques et mixait les influences sans jamais raconter quoique ce soit de vraiment innovant.
Army of the Dead, lui, pourrait être l’équivalent du premier jet d’un écrivain réticent à relire sa copie : un film écrit et tourné dans l’urgence, sans la moindre volonté de peaufinage. Toute son intrigue est prévisible, sa durée inutilement étirée, ses personnages n’ont aucune dimension et ne se résument qu’à des archétypes (leur sort nous est d’ailleurs indifférent), son humour noir tombe à plat et le film entier échoue à provoquer le moindre frisson. On notera aussi ces quelques fausses bonnes idées dont cette morte-vivante enceinte et ces quelques zombies aux yeux luminescents. Mais le plus aberrant reste ce personnage/MacGuffin (la sempiternelle disparue qu’il faut retrouver) que la fille de Dave Bautista passe l’essentiel du film à chercher avant de la retrouver à la fin. Dès lors, Snyder ne sait visiblement pas quoi faire de ce personnage/outil et l’oublie purement et simplement après le crash de l’hélico dans le désert sans jamais nous révéler son sort. Le personnage est-il mort ? Vivant ? Etait-il vraiment besoin de s’emmerder à l’intégrer dans l’histoire si c’est pour s’en débarrasser si vite dans le climax ? On en sait rien. On s’en fout. Et pire encore, Snyder lui-même s’en fout.
Occupé à faire un film de gros bras faussement fun, Snyder ne cherche jamais à être inventif dans son écriture et pille (et cite ?) aussi bien Les 12 salopards que De l’or pour les braves, en passant par Die Hard (l’ouverture du coffre-fort sur un air classique), Aliens (le sempiternel traitre intéressé par le potentiel destructeur des monstres, la pilote d’hélico qui se barre avant de revenir), Resident Evil Extinction (pour son zombieland désertique), Le Choc des titans (Lily brandissant la tête de la reine zombie comme celle de la Méduse) et John Carpenter (on pense à Escape from New York pour la ville coupée du monde et à Ghosts of Mars pour ses hordes de zombies aux looks tribaux). Mais de la même manière que Ghosts of Mars semblait témoigner de l’essoufflement du style de Carpenter, Army of the Dead lui, révèle toutes les tares stylistiques d’un cinéaste actuel qui ne voit de toute évidence pas le navet qu’il est en train de tourner : sa réalisation manque totalement d’ampleur et abuse des cadrages serrés sur les personnages, des focales longues dégueulasses, des perspectives floutées comme autant de cache-misères et des ralentis en veux-tu en voilà dès qu’il s’agit d’appuyer la mort d’un des protagonistes. Bien moins inspirée qu’à l’époque de L’Armée des morts et de Watchmen, la mise en scène de Snyder n’exploite jamais vraiment son décorum (il y avait pourtant de quoi faire avec une Las Vegas en ruines) et souffre d’un manque de moyens évident qui oblige le cinéaste à limiter son survival apocalyptique à de brèves séquences sur une rue (toujours la même) jonchée de débris, et quelques séquences de couloirs interchangeables. Les CGI n’arrangent évidemment rien à l’affaire et le tigre zombie semble sorti tout droit d’une cinématique de jeu PS3.
Snyder ne rate pourtant pas tout, et nous permet même parfois d’entrevoir le projet rêvé derrière le navet filmé, à travers un univers désertique prélude à la fin du monde, peuplé de mercenaires aussi retors que redoutables, et de zombies évolués, plus proches des goules vidéoludiques d’un Fallout ou d’un Bioshock, ou des possédés martiens de Ghosts of Mars, que des zombies claudiquants de The Walking Dead. La première scène du film par exemple, avec l’évasion de l’alpha, aurait pu être un grand moment du genre si Snyder n’avait pas fait de ses personnages (les jeunes mariés, les soldats du convoi) de parfaits imbéciles. Idem pour le générique musical d’ouverture, qui laissait présager un bien meilleur survival.
Mais là où le film aurait pu jouer pleinement la carte d’un second degré salvateur digne d’un Verhoeven, Snyder préfère se vautrer dans un premier degré ronflant et opte pour un pathos sans réel impact dramatique. Les acteurs du film sont si peu attachants (à part Dave Bautista qui rame comme il peut pour donner de l’épaisseur à son personnage) que la volonté d’appuyer leurs sacrifices successifs en dernière partie devient totalement ridicule et contre-productive. Snyder ne cesse d’abuser des ralentis et des musiques dramatiques pour souligner chacune de leurs morts et tenter de la sorte de toucher le spectateur. Sans succès, tant l’essentiel des personnages d’Army of the Dead semblent tout droit sortis d’un obscur dtv d’Uwe Boll. Il y a bien cette ultime séquence d’adieu entre un père et sa fille et qui renvoie probablement aux sentiments de Snyder pour sa fille mais le dialogue s’étire inutilement là où un simple jeu de regards, un moment de silence, aurait suffi à transmettre plus d’émotions.
Army of the Dead n’est donc pas le film tant espéré. On pourra bien sûr essayer de le défendre en lui trouvant les qualités d’un pur no-brainer passant difficilement le cap du visionnage unique. Mais il faut savoir distinguer deux types de films de pur divertissement : les coups de génies créatifs et maitrisés qui transpirent l’amour du genre et qui traversent facilement les époques, et les sous-produits aseptisés et sans saveur que l’on voulait pouvoir aimer mais qu’il est préférable d’oublier.