En 1994, du côté coca de l’Atlantique Quentin Tarantino revisite le film de gangsters. En 1998, Guy Ritchie le fait du côté thé de l’océan. Ou plutôt le côté bière et brique de l’Atlantique. Car si les gangsters de Guy Ritchie boivent peu de thé (mais il est bien présent), ils évoluent dans un univers de cartes, de bières, de drogue, dans des environnements populaires.
Eddie, Soap, Bacon et Tom sont des petits truands. Le premier est un pro des cartes, Bacon des entourloupes aux piétons et Tom a ses contacts pour revendre, tout revendre. Seul Soap a les mains propres, à peu près. Suite à un malheureux jeu de cartes en leur défaveur, le petit groupe doit beaucoup d’argent au malfrat du coin. Pour garder leurs petits doigts et leurs vies, ils vont chercher une autre combine, et pourquoi pas profiter d’une autre mise en place par leurs voisins. Voler à des jeunes hommes cultivateurs leur drogue et leur argent. Mais rien n’est simple.
Bien que certaines figures soient plus centrales, le film est une grande comédie chorale, riche d’une quinzaine de personnages, tous ou presque du mauvais côté de la loi. Des truands de plus ou grande importance, qui finiront par trébucher sur le tapis. Certains s’en sortiront mieux que d’autres, mais il y a toujours une contrepartie.
Le caractère de chacun est rapidement esquissé, mais jamais transparent. Chacun porte en lui de la matière, dont le film ne donne qu’une partie. Si les 4 amis malchanceux ont de la personnalité, le film ne se voit pas pour leurs beaux yeux et leurs dégaines de petits gangsters, c’est bien l’histoire qui est le ressort principal. Une histoire constamment pêchue, qui rebondit d’un groupe à l’autre, d’une personne à l’autre, et dont la seule fausse note est de partir dans toutes les directions vers la fin. Je vous laisse compter le nombre de fois que le sac change de mains, dynamitant le côté certes un peu farfelu de l’histoire, mais qui était jusqu’à présent crédible.
Avec autant de personnages à l’écran, pour autant de personnages haut en couleurs, il fallait un casting en béton, de l’étoffe dont on fait les malfrats, sale, élimée mais robuste. Il donne sa chance à de nombreuses personnes comme Jason Statham ou Jason Flemyng, pas forcément acteurs, au casier pas forcément vierge, comme Lenny McLean et surtout Vinnie Jones. Il s’est fait connaître au Royaume-Uni comme footballeur professionnel au caractère bien trempé, de l’essence d’hooligan mais sur le terrain. Le méchant garçon anglais raccroche le maillot, et Guy Ritchie le choisit pour le rôle d’un homme de main très attaché à son boulot et à son fils. Un des meilleurs personnages du film.
On a souvent reproché à Guy Ritchie de filmer comme un réalisateur de clips, ce qu’il a fait à quelques reprises, comme si c’était une tare. Dans AC&B, la caméra est vivante, mouvante, à l’image du film. Elle ne se déplace que pour ses personnages, généralement bien cadrés, toujours dans le bon champ, pour mieux laisser exprimer le talent de ses acteurs. Le choix du film d’opter pour un filtre légèrement sépia, passé, sale, est à l’image de son décor, tout de briques. Il n’y a pas besoin d’en dire trop sur le lieu, il n’y a aucune nostalgie particulière de ses murs, si ce n’est ceux d’un certain bar, les personnages y volent, arnaquent les passants, fuient les policiers, embrouillent les autres, et autres petits plaisirs de gangsters.
Et ce n’est qu’un film de gangsters, mais quel film. Il joue, tout comme Tarantino, sur la dérision, sur la malchance. Mais ses personnages sont britanniques, à la marge. C’est le peuple anglais de la fin du XXième siècle, qui merdouille plus qu’il ne brille. Pour notre plus grand bonheur.