Arrête-moi si tu peux nous conte la vie d’un génie qui abuse d’un système à l’origine de son malheur. Ce système qui, après avoir ruiné et déshonoré ce père auquel il vouait un culte, emporte avec lui l’amour de ses parents. Blessé au plus profond de son âme par la perte de ce foyer familial idyllique, Frank Abagnale Jr mènera un combat sans relâche pour reconquérir un passé qui restera à jamais révolu.


Franck Abagnale Jr n’est donc pas seulement l’objet d’une chasse à l’homme. Il incarne également le concept même de la fuite. La fuite d’une réalité bouleversante qui le pousse à fuguer loin de tout, refusant de devoir choisir entre son père et sa mère.


Steven Spielberg nous peint ici le portrait d’un homme dont l’escroquerie maladive se rattache à des causes sentimentales profondes. Mais son chef d’œuvre ne s’y limite pas. Il parvient en effet à nous faire voyager dans cette Amérique des années 60, où les affaires, le luxe et les belles femmes sont au cœur de toute l’attention. Cette course poursuite saisissante, rythmée par une musique jazzy que l’on ne peut que trop aimer, est encore plus palpitante à suivre. Tout n’est ici que charme, séduction et apparences. Et c’est précisément sur ces failles-là que Franck parvient à prendre le contrôle de cette société de consommation en plein essor.


Mais malgré ses innombrables succès, la glaçante réalité à laquelle il essaye d’échapper le rattrape toujours. Des fêtes de Noël, dont la triste beauté nous fusille, rythment la cavale de Franck et lui rappellent son mal-être. Ces Noëls qui se ternissent d’année en année pour ne plus que représenter les vestiges d’une famille qui autrefois était heureuse. Ces Noëls nostalgiques qui lui rappellent à quel point il est seul… Et c’est précisément à travers cette terrible solitude que prendra naissance la relation très complexe qu’entretiennent Carl Hanratty et Franck.


C’est en effet à la fois une chasse et une complicité qui relient ces deux hommes. Ainsi, Spielberg nous présente à la fois un Carl fasciné par cet esprit brillant mais également animé par ce désir obsessif de l’arrêter. Les deux hommes se comprennent et se respectent néanmoins. Et c’est grâce à cette complicité naturelle que Carl Hanratty développera une certaine empathie à l’égard de Franck. Il comprend sa solitude et comprend son histoire. Franck Abagnale Jr n’est pas un simple escroc comme les autres. Il est brillant, audacieux et profondément blessé.


Si Descartes avisait sagement de changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde, Franck préfère lui s’approprier ce monde qu’il n’aime pas afin de pouvoir s’émanciper de sa réalité. Toujours fidèle à l’enseignement de son père, il est la figure de l’audace qui voit les choses en grand, celui qui n’a pas peur de changer l’ordre du monde en devenant pilote de ligne, médecin ou encore avocat, celui qui préfère le temps d’un instant se faire passer pour le professeur de sa classe plutôt que de se plier aux moqueries de ses camarades. Franck ne peut accepter de changer ses désirs car cela voudrait dire accepter la réalité. Accepter que son père et sa mère soient à jamais séparés. Accepter que cette famille qui était si heureuse soit condamnée à ne rester qu’un triste souvenir. Accepter une cavale qui ne trouvera jamais de trêve. Accepter tout simplement sa solitude. Impossible. Et c’est bien l’impossible qu’il met en œuvre pour éviter cela. Il tente d’offrir à son père une belle voiture, des voyages paradisiaques et de beaux costumes, dans l’espoir qu’il reconquiert l’amour de sa mère. Il essaye de convaincre irrationnellement sa femme de le suivre pour reconstruire une vie à deux malgré une fausse identité et une cavale sans issue. Des luttes vaines car tous finiront par le quitter.


Ces mots nous reviennent alors à l’esprit :


« Deux petites souris tombent dans un sceau de crème. La première souris abandonne très vite et se noie, la deuxième se débat tellement fort qu’elle change la crème en beurre. A partir de maintenant je suis cette deuxième souris. »


Et si Franck avait tout tenté pour être cette deuxième souris, comme son père le fut autrefois ? Il aura lutté toute sa vie pour pouvoir sortir de ce sceau et ne pas avoir à regarder la vérité en face. Ne pas avoir à regarder le visage de cette petite fille de l’autre côté de la vitre. Cette petite fille qui est le fruit de la nouvelle vie de sa mère, et qui symbolise la vie qu’il aurait dû continuer à avoir. C’est en ce moment précis que Franck réalise la vanité de sa lutte. Son père est mort, et sa mère a tiré une croix définitive sur son passé. Ce n’est alors plus que des dizaines de policiers qui l’attendent derrière lui.
Franck Abagnale Jr n’aura finalement pas changé la crème en beurre. A partir de maintenant il est la première souris. Joyeux Noël.

FlorianAmry
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le 7 nov. 2016

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