Arrête-moi si tu peux par FrankyFockers
Généralement, on se fiche totalement de savoir que tel film de fiction, à portée non historique bien sûr, est inspiré d'un fait réel ou non. Ce n'est pas cela qui donne ses vertus au film, et savoir que, par exemple, le Roger Thornhill de « La Mort aux Trousses » a vraiment existé ou pas, nous importe peu. En revanche, « Arrête-moi si tu peux » de Steven Spielberg tire une grande partie de son intérêt, et de la fascination qu'il peut exercer sur le spectateur, du fait justement qu'il est inspiré de l'histoire vraie d'un homme ayant vraiment existé. La question à se poser est évidemment d'essayer de comprendre pourquoi. « Arrête-moi si tu peux » raconte l'histoire de Frank W. Abagnale Jr qui a, entre 16 et 19 ans, escroqué plus de 4 millions de dollars aux banques américaines uniquement grâce à des faux chèques, et s'est inventé successivement des vies de pilotes d'avion à la PanAm, médecin et avocat. Et bien sûr, tout le monde n'y a vu que du feu. Jusqu'à ce que le FBI le coince enfin, après plusieurs années de traque, avant de lui proposer de l'embaucher au service des trafics de chèques, plutôt que de laisser croupir en prison ce petit génie de l'arnaque.
Le premier coup de génie de Spielberg concernant ce film, c'est le choix de son sujet. Histoire complètement cinématographique, histoire trop énorme pour être vraie si elle avait été de la fiction pure, elle accapare d'emblée l'adhésion du spectateur parce qu'elle est l'adaptation d'un fait réel, de la vie d'un homme.
Le traitement du scénario, que l'on doit à Jeff Nathanson, qui vient aussi de signer celui de « The Terminal » est un exemple de limpidité, de jubilation et d'engrenages qui n'en finissent pas de s'entraîner les uns les autres et, se mettant à danser tous ensemble, créent une spirale d'ivresse joyeuse dans laquelle la bonhomie du spectateur n'en finit pas de s'épanouir. Mais cette spirale narrative est accompagnée, voire précédée par un tourbillon de mise en scène, d'une maëstria telle qu'elle en devient presque déroutante chez un cinéaste habituellement respectueux des codes et des conventions hollywoodiens tel que Spielberg. Il faut dire qu'il est actuellement meilleur que jamais, et qu'enchaîner deux joyaux comme « Minority Report » et « Arrête-moi si tu peux » n'est pas à la portée de n'importe quel cinéaste mainstream. S'il a été déjà capable de réaliser de très bonnes œuvres de divertissement (« Les Dents de la Mer », « Indiana Jones » et même « Le Monde Perdu » (débile mais presque abstrait dans sa brillante mise en scène), Spielberg nous avait aussi, et malheureusement, habitué au pire. « Arrête-moi si tu peux » l'érige de manière incontestable, enfin devrait-on presque dire, comme un grand cinéaste incontournable, comme un véritable Auteur, au sens entendu par « Les Cahiers du Cinéma » de la grande époque, inventeurs de cette notion, si fondamentale qu'elle changea la donne mondiale du cinéma. Car « Arrête-moi si tu peux », simultanément à sa modernité, est ce que l'on appelle, sans ironie aucune, un film d'auteur à l'ancienne. De cette époque bénie où les studios hollywoodiens nous pondaient des chefs-d'œuvre aussi facilement que les navets aujourd'hui. Le film de Spielberg croise la complexité, la perversion sous-jacente et la logique de spirale d'Alfred Hitchcock, la magie de transformer le quotidien en un univers fantasmagorique propre à Franck Capra, et la jubilation humoristique teintée d'une noirceur cachée de Billy Wilder. Hitchcock, Capra, Wilder, on peut difficilement imaginer meilleurs références... En fait, Spielberg aura attendu d'avoir 50 ans révolus pour osé faire ce que font ouvertement les débutants : s'inspirer ouvertement de leurs pairs, de leurs pères spirituels. Et c'est dans cet hommage appuyé (déjà opéré sur « Minority Report », croisement de Hitchcock encore, de Kubrick, d'une pincée de Lang et de Bunuel), qu'il s'affirme enfin, et pour le plus grand bonheur de tous comme l'auteur qu'il a toujours rêvé d'être. Un 'cinéfils', dirait Daney.
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