Affaire Meklat, février 2017. Jeune écrivain, chroniqueur au Bondy blog puis sur France Inter, adulé par l’intelligentsia parisienne, talent touche-à-tout et fulgurant, icône et porte-voix des cités, Mehdi Meklat est tout cela. Il est aussi celui qui se cache derrière le pseudonyme Marcelin Deschamps qui, sur Twitter des années auparavant, a sévi. Salement. On exhume ainsi toute une série de tweets racistes, antisémites, homophobes et misogynes à faire pâlir d’envie quantité de trolls en mal de vaine notoriété. L’emballement médiatique qui suivra, entre condamnations fermes, défense molle et tentatives d’explications (on parlera alors de «double maléfique», de personnage fictif «questionnant la notion d’excès et de provocation», de «blagues nazes d’un gamin»…), verra Meklat multiplier les excuses et les pardons (il en fera même un bouquin) et se réfugier un temps au Japon.
Comme toutes les affaires, celle-ci se tasse, remplacée bientôt par d’autres affaires. Au hasard la ligue du LOL. Laurent Cantet, à l’époque, découvre lui aussi le barouf Meklat, entre incompréhension et stupeur : «J’avais surtout du mal à recoller les morceaux, à me dire que ce gars intelligent et sensible avait pu écrire ça […] Beaucoup de gens, journalistes, intellectuels, ont essayé d’analyser cela et j’ai eu le sentiment que ça tournait en rond. Ce besoin de comprendre passait inévitablement par du discours, qui de toute part voulait établir une vérité. Mais la dialectique a ses limites. J’avais l’impression que le discours, si construit soit-il, n’épuiserait jamais le mystère du personnage».
Pas de film-enquête donc qui reviendrait sur l’affaire dans son entièreté (tout, ici, est condensé en 48 heures). Mais davantage l’observation, et jamais vraiment sa totale compréhension, de ce «mystère», de l’énigme que représente Karim D., double imaginaire de Meklat, pour les autres et d’abord pour lui-même. C’est dans la trajectoire (du sérail parisien de l’édition aux barres HLM de banlieue, et jusqu’à ce départ vers l’inconnu) et les conséquences de sa chute (sur le travail accompli, la renommée, les amis, la famille…) que Cantet oppose Karim à ses contradictions (l’intime) et ses responsabilités (le social).
Et, bien sûr, au personnage qu’il a créé (faut-il ainsi dissocier Arthur de Karim, blâmer l’un et l’autre ?), pensé a priori comme un «punk» revendiquant une colère contre à peu près tout (mais une colère pour quoi faire, avec quelle finalité ?), un agitateur sans limites se nourrissant d’ego, de likes et de followers, avides eux-mêmes de dégueulasseries et d’humour trash dont on rit ou s’indigne. Car ce n’est qu’à partir de cet instant où Karim accèdera à la célébrité que ses anciens tweets, pourtant connus, voire partagés, par ses amis et quelques pontes de sa maison d’édition, poseront soudain problème.
La prise de conscience qui en résulte (particulièrement avec son petit frère, incapable de saisir la duplicité des messages qu’il prend pour argent comptant) verra Karim s’interroger sur son propre système de pensée (par exemple porte-t-il en lui un antisémitisme inconscient que certains de ses tweets, sous couvert de cette provocation s’inscrivant comme «geste artistique et revendicatif», font surgir de façon décomplexée ?). Mais par sa brève durée (à peine une heure et demie, générique compris), Arthur Rambo ne fait que survoler les thèmes de son sujet (les évidents comme ceux qu’il sous-tend : intégration, liberté d’expression, cancel culture, outrance des réseaux sociaux, place du débat, dérives idéologiques…), réduisant trop facilement leur portée et leur complexité aux silences (bien pratiques) de Karim et ses nombreux regards dans le vide (l’interprétation de Rabah Naït Oufella, correcte, n’est pas à remettre en cause) qui, s’ils sont censés traduire le désarroi de son personnage face à ce qu’il a engendré, n’en restent pas moins une sorte de pis-aller réflexif, nous laissant à la fin hésitant, partagé entre intérêt et déception.
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