Adapter As I lay Dying de Faulkner pourrait sembler chose impossible, vaine, et disons-le franchement, inutile.
Certes c'est une histoire toute basique de road-trip funéraire : la mère est sur le point de clamser, on lui scie le cercueil juste sous le nez et, dernière demande, sa famille de bras-cassés devra aller l'enterrer à l'autre bout du comté dans sa ville natale de Jefferson. Ce timbre-poste que Faulkner aura creusé lui-même profond tout au long de sa vie ; sans doute pour s'y enterrer bien au chaud.
Mais avec Faulkner rien n'est jamais simple car Tandis... est un roman polyphonique. Fort de changer les points de vue, il nous plonge surtout dans leurs têtes : leurs obsessions, leur désirs cachés, leurs incompréhensions et leurs secrets ; enfin autant que l'auteur aime à nous les distiller goutte à goutte. Il écrit en creux, à l'ombre portée, à l'interstice. Un puzzle dispersé où chaque pièce elle-même a sa propre perspective.
Comment rendre ce kaléidoscope ? ces tribulations intérieures ? Comment ne pas tout ruiner en montrant ce qui n'était que suggéré ? rendre grotesque ce qui se cachait dans les replis ?
Soit on dépiaute tout ça et ne restent que 5 péquins et un cercueil sur un chariot enrobés de laconiques flashbacks lourdauds soit, puisqu'on a un beau matin décidé d'aller adapter As I lay Dying, on tente tant bien que mal de transposer, non d'illustrer, avec grand style mais en évitant la pompe, cette odyssée de bouseux.
Franco ne tranche même pas le nœud Gordien. Il n'évite pas les effets de style artificiels notamment l'utilisation du split-screen qui, si elle tourne vite au gimmick creux, a pour elle le mérite de ne pas trop virer jusqu'au maniérisme le plus total et grotesque. Quelques ralentis aussi. Ca aurait pu être pire se dit-on...
De manière générale, sa mise en scène montre vite ses limites, parfois proche d'un téléfilm, notamment dans la scène du fleuve, totalement incompréhensible. Que tout cela manque d'ampleur et de souffle ! Une sorte de Jeff Nichols (très) junior. Demeure un côté crado western bien que fauché de bon aloi.
"Sometimes I think it aint none of us pure crazy and aint none of us pure sane until the balance of us talks him that-a-way. It’s like it aint so much what a fellow does, but it’s the way the majority of folks is looking at him when he does it."
As I lay dying sera donc très bavard car l'adaptation est fidèle. Trop ! Tout y est et sous la même forme que le bouquin. "My mother is a fish." En faisant du flux interne un monologue dit par les acteurs, souvent face caméra, sur la musique d'O'Keefe qui a la bonne idée de prendre des reflets Nick Cavesques, forcement on obtient un côté théâtral, une facette déclamatoire à la Tree of Life (of Death) qui va à l'encontre de l'immédiateté baroque du style originel. Certains acteurs tiennent la barre, d'autres pas. Car c'est là toute la force du style de l'auteur, associer un son noble à la furie de la vie. Pas évident de rendre ce contraste.
Pour sûr, il est dur de juger quand le livre remonte à la surface et que son tendre souvenir vient teinter chaque scène, chaque phrase reprise mot pour mot : on a bien envie de pousser jusqu'au petit 6 affectueux.
Trop scolaire et pas assez maîtrisé, le film de Franco me semble toutefois parvenir, à saisir, si ce n'est à conserver, par fulgurances, la violence, l'étrangeté tragi-comique du roman, sa beauté aussi.