A entendre Louis Malle dire d'Ascenseur pour l'échafaud que celui-ci n'avait vraiment décollé que lorsque Miles Davis l'avait mis en musique, on pourrait supposer que lui qui venait de filmer pour Cousteau et Bresson devait préférer imprimer à ce film, qu'il commettait en 1958, une atmosphère sombre et mélancolique - atmosphère sombre et mélancolique que la bande-son indéniablement apportera - à l'histoire de son héros Julien, de cet ex-parachutiste reconverti dans les affaires qui, après avoir tué le mari de sa maîtresse et cru au crime parfait, allait chuter, non pas victime du flair de la police, mais plutôt parce que, de bout en bout, son entreprise serait marquée par le mauvais sort - Au reste, le chat noir, que l'on peut entrapercevoir lors de la scène du meurtre, nous permettrait de le dire.
On ne saura jamais vraiment si par le biais de sa confidence, Louis Malle admettait publiquement que son scénario et sa mise en scène étaient insuffisants pour instaurer, à eux seuls, un tel climat, ou bien s'il voulait là, avant toutes choses, rendre hommage au génie de Miles Davis, aux sublimes improvisations que le plus parisien des jazzmen américains créera pour son film, à ce talent qui fera d'une simple scène de nuit - celle où Jeanne Moreau, se croyant trompée, erre seule sur les Champs-Élysées - l'une des plus belles de toute l'histoire du cinéma. Par contre, ce dont on peut être sûr, c'est que par cet aveu le cinéaste ne rendait pas vraiment justice, et d'une, à son talent de metteur en scène et à son propre travail sur Paris : la ville, qu'il osait prendre ici par le bout peu ragoûtant de ses principaux points de fuites ou d'enfermement, tels les bistrots, les larges avenues, les immeubles de bureaux et les commissariats, apparaît, oui, pour la première fois à l'écran, ce qu'elle est peut-être avant tout ; et de deux, au regard extrêmement lucide qu'il portait, partagé probablement par son scénariste Roger Nimier, sur cette jeunesse née après la guerre, sur cette jeunesse qui, bien que voulant fortement se démarquer de la génération précédente, possédait les mêmes aspirations qu'elle : Véronique ne flashe-t-elle pas en effet sur le riche cabriolet de Julien? et Louis, son petit ami sans envergure, n'enfile-t-il pas l'imperméable et les gants de ce dernier comme s'il voulait lui chiper son statut d'homme d'affaires qui a réussi ? ; et enfin, à ce magnifique portrait qu'il dressait de son héroïne, de cette femme qui, après s'être crue trompée par son amant, fera tout ce qu'elle pourra pour sauver son amour et qui serait tellement vraie dans le ton et tellement juste émotionnellement que je serais largement tenté de conclure, et cela, même si Jeanne Moreau qui l’interprétait - divinement je dois dire ! - avait dû remonter les Champs-Élysées dans le plus parfait des silences ou simplement accompagnée du seul bruit de ses talons hauts, qu'il y avait là, dans cette seule manière de la décrire, ce qui distingue un chef-d’œuvre d'un bon film.
Spykid, 150919