Assa
7.2
Assa

Film de Sergey Solovyov (1987)

Quel changement! Quel changement?

« Après sept mois, et sept jours, l'arc s'arrêta au pied du Mont Ararat, et après que la troisième colombe soit revenue avec dans son bec une branche d'olivier, Noé ouvrit la porte de l'arc, posa ses pieds dans l'herbe, leva ses mains vers le soleil et s'écria "ASSA!" »


Assa, un film assez subversif lorsqu'il sort en 1987. L'Union Soviétique est en plein changement, et, justement, ce film le représente et l'invoque. Ce film n'est pas grandiose, mais à l'époque son succès a été dû au fait qu'il n'était pas comme les autres films. Il fait l'exception de commenter sur l'état des choses, d'invoquer les problèmes, il ouvre des questions qui étaient relativement peu abordées, surtout au cinéma qui préférait en général se conformer à la norme du cinéma soviétique.
Je devrais rajouter que son succès a aussi été dû à l'apparition dans le film de Victor Tsoï, vedette du post-punk russe et dont la mort soudaine et tragique (survenue peu apès la sortie du film) a secoué des légions de jeunes russes à l'époque.


Assa a probablement mal vieilli car c'est un film essentiellement adressé à la jeunesse post-soviétique de ce temps, mais quelque part il est possible d'en saisir l'essence.


Les questions que pose le film sont des questions nouvelles pour la jeunesse pre-perestroïka, telles que... Comment choisir une vie honnête quand la corruption nous promets tant? En qui peut-on avoir confiance? L'autorité? Que nous réserve l'avenir? Peut-on rêver d'une vie différente, d'une vie plus bohème? Peut-on réellement choisir notre propre destin, faire nos propres choix? Qu'est-ce qui compte vraiment, dans la vie?


En bref, l'histoire d'Assa est celle d'Alika, une jeune fille qui rejoint son amant, Krimov, à Yalta alors que celui-ci débarque d'un bateau. Krimov est considérablement plus vieux qu'Alika, et fait partie d'une association de crime organisé surveillée par le KGB, tandis qu'Alika lui fait office d'infirmière. Alors qu'elle attend la venue de Krimov, Alika rencontrera d'abord Bananane, un jeune musicien enthousiaste et excentrique qui lui fera découvrir la musique subversive et la contre-culture qu'il embrasse. Puis Krimov arrive, et lorsqu'il se rend compte de la complicité intime entre sa bien-aimé et Bananane, il devient jaloux de la relation entre les deux jeunes adultes et décide de prendre des mesures pour y mettre fin...
En parallèle, nous suivons l'histoire du coup d'état de 1801 et de l'assassinat de Paul 1er à travers les pensées de Krimov qui lit un livre sur le sujet.


Le film est très sombre, parfois pesant, et les couleurs sont fades, obscures, et pourtant celles de la chambre de Bananane, celles de ses performances et celles de son rêve n°1 sont vives, colorés, excitantes. J'y ai vu une métaphore pour cette jeunesse qui veut appréhender le future avec excitation, la vie avec plus de couleurs, et le fait que Alika délaisse son vieil amant au profit de la compagnie excentrique de Bananane reflète ce thème majeur du film : le vieux, l'éstablishment, le soviétique vs. la jeunesse, le (re)nouveau, le changement.
Et le film illustre en plusieurs tableaux cette dualité entre le "Il ne faut pas" soviétique et le "Je veux" de la nouvelle jeunesse.
Bananane veut pouvoir porter ce qui lui plait, et les officiers ainsi que Krimov lui disent qu'il ne faut pas, que c'est interdit ou que ce n'est pas correct. Alika veut pouvoir aimer qui elle veut, et Krimov lui montre et fait en sorte que ce soit impossible. Victor Tsoï veut pouvoir chanter ce qui lui plaît et comme il lui plaît sans qu'on lui impose une liste de préalables pour la performance. Il veut du changement ("хочу перемен!" dans sa chanson de fin), le statu quo n'est plus une possibilité. (Le fait que ce soit le groupe Кино, ou "cinéma" en russe qui performe cette chanson est assez drôle par ailleurs...)


Je ne sais pas quoi penser de l'histoire parallèle du coup d'état et de l'assassinat de Paul 1er, si ce n'est qu'elle illustre peut-être combien le changement peut être brutal, risqué, voire une autre forme de corruption... Surtout aux yeux de celui qui suit réellement l'histoire, Krimov.


Je pense que quelqu'un qui n'a pas vécu à cette époque est capable d'apprécier le film, mais peut-être pas à son exacte valeur.
J'ai regardé le film avec un ami qui a grandi en URSS pendant la perestroika et ses commentaires m'ont aidé à en percer ses mystères, à voir les images à travers le filtre d'une autre époque, même si je reste sûre que je ne peux pas en saisir toutes les nuances.
Assa n'est pas un grand film, mais c'est un film que je conseille néanmoins à ceux qui s'intéresse à cette période de l'histoire soviétique/russe.
Ou à l'univers du rock russe de l'époque.

drunkenfirefly
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le 31 mars 2013

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