"Pour comprendre le pouvoir de la lumière et ses effets sur l’esprit du spectateur, visualiser la scène suivante : la pièce est plongée dans l’obscurité. Un puissant rayon de lumière filtre sous la porte depuis le couloir. On entend un bruit de pas. Les ombres de deux pieds divisent le faisceau de lumière. Suit un bref silence. Il y a du suspens dans l’air. Qui c’est ? Que va-t-il se passer ? Il va sonner ? Introduire une clef et essayer d’entrer ? Une seconde ombre plus forte apparaît et bloque totalement la lumière. Il y a un faible sifflement puis, quand l’ombre se retire, on aperçoit une feuille de papier glissée sur la moquette. Puis on entend à nouveau les pas… cette fois, ils s’éloignent. Une lumière plus forte réapparaît et illumine le message sur le sol. On le lit pendant que les pas s’estompent au loin : Il est dix heures du soir. Ayez l’amabilité d’éteindre votre radio. La direction. »
John Alton – Chef opérateur (texte relevé dans le livre « Film noir » d’Alain Silver et James Ursini)
Ce film est l’exemple même de ce que la contrainte, par exemple budgétaire, peut générer quand on ne peut compter que sur l’imagination et la maîtrise de la technique. Avec un budget supérieur, le film ne serait pas cette succession de tableaux expressionnistes sublimes. Quelques plans du début ressemblent (volontairement) à des tableaux d’Edward Hopper (mais en n&b). L’art, c’est le style. L’art, c’est la forme. Toute la rigueur du genre a été appliquée et la violence permanente est contenue dans des trouvailles de mise en scène et de dialogue. Pas de racolage. Un film modèle pour les futurs « chefs opérateurs », les apprentis réalisateurs et aussi pour les critiques qui auraient tant voulu faire du cinéma (et qui auraient pu s’ils l’avaient vraiment voulu). Qu’on ne nous dise plus que faire un grand film coûte cher.