The French Dispatch semblait le Wes Anderson de trop, un fourre-tout à idées et stars qui courrait à toute allure sans réelle direction, pour un résultat à bout de souffle. Asteroid City, tourné à peine deux ans plus tard, apporte quelques réponses à cette crainte, en imposant un temps d’arrêt qui fait évidemment écho à la pandémie de 2020. Une ville sous quarantaine, au milieu du désert, voit donc toute une communauté forcée à cohabiter, dans un environnement surgi de nulle part, autour de l’impact d’un astéroïde qui attire les curieux et la jeunesse des concours scientifiques.
L’artificialité du lieu alliée à l’incongruité de la situation, ingrédients archétypaux du cinéma d’Anderson, mettent donc sur les rails d’un opus dans lequel l’immobilité va enfin pouvoir jouer un rôle déterminant. On reconnaît à l’auteur le désir de caresser certaines profondeurs, de la mélancolie des uns, invités à sortir de l’enfance, au deuil des autres, en passant par le vague à l’âme d’une Marylin revisitée. Le duo entre Jason Schwartzman et Scarlett Johansson est ainsi, perlé dans une écriture chorale, de loin le plus touchant, parce qu’il s’attarde sur une intimité qui cherche à abolir la distance, dans un joli jeu de maison mitoyennes, de façades mobiles et d’embrasures faisant office de fenêtres sur des cœurs modestement cabossés.
L’écrin de ces destinées est comme toujours un personnage à part entière, un pan de l’univers graphique du cinéaste qui crée à sa mesure un décor où la ligne claire, les teintes pastels et la facticité assumée vont guider son sens légendaire de la symétrie et des déplacements latéraux. Un motif de retrouvailles pour les afficionados, le tout saupoudré de la musique cristalline de Desplat, qui chercher donc moins à surprendre qu’à satisfaire.
Parce que la question de l’essoufflement ne parvient pas à s’estomper, dans un film qui fait du patinage et du surplace son sujet principal, sans qu’on puisse bien déterminer s’il est assumé ou subi. Les décrochages, séquences gratuites, ou échanges d’une grande vanité se succèdent, et l’ennui qui s’en dégage reste souvent bien stérile en termes d’émotions. Le statisme en écho à une dépression généralisée a bien entendu déjà été abordé par Anderson, notamment dans La Famille Tenenbaum ou À bord du Darjeeling Limited. Il donne pourtant ici des signes avancés de vacuité, notamment par une écriture qui brandit souvent l’incompréhension comme un ressort pseudo ironique, et un recours éculé à une métastructure allant demander à l’auteur son avis sur ce qui est en train de s’écrire. L’occasion de changer de format, passer en noir et blanc et placer davantage de comédiens, dans cet autre plat signature du réalisateur consistant à occasionner de superbes montées des marches au Festival de Cannes. Au risque de rendre anecdotique la majorité des apparitions, qui semblent présentes pour relancer l’intérêt du spectateur (oh tiens, un Matt Dillon, une Margot Robbie, etc…), comme on passerait d’une cage à l’autre dans un zoo.
Peut-être faudra-t-il se résoudre à voir le cinéaste poursuivre dans cette posture, alors que ses deux prochains projets sont déjà annoncés, et accepter qu’au sein d’un univers qui n’appartient définitivement qu’à lui, la surprise et l’émotion n’ont plus vraiment leur place. Espérons qu’il saura nous donner tort.
(6.5/10)