On pourra difficilement taxer Julian Schnabel de conformiste à l'issue de "At Eternity's Gate" (du nom d'une peinture de van Gogh), qui aborde globalement le même segment tardif de la vie du peintre que Maurice Pialat, c'est-à-dire ici son installation à Arles en 1888, son internement à Saint-Rémy-de-Provence, jusqu'à sa mort à Auvers-sur-Oise en 1890. Mais point de contemplation naturaliste ici, on se situe probablement à un des opposés possibles puisque le peintre et cinéaste américain adopte une démarche très expérimentale, en multipliant les visions déformées de la réalité — mais sans que le fil narratif ne soit brouillé à aucun instant. Le trajet reste très clair, un peu attendu dans le déroulé des événements archi-connus de cette période (hormis le final, présentant une thèse alternative au suicide, sous l'angle du meurtre), et c'est dans la mise en scène que les tentatives de singularité se manifestent le plus, avec des filtres et des mouvements chaotiques.
Enfin, il y a aussi Willem Dafoe, quand même, dans le rôle principal... C'est le point névralgique du film, à la fois choix surprenant mais en réalité choix très judicieux à mesure qu'on le voit pris dans le courant des événements, rattrapé par la maladie, au contact des habitants, d'un docteur, d'un prêtre, d'un malade. La thèse du van Gogh hypersensible et incompris, paumé au milieu d'une foule de brutes et d'incompétents, se fait parfois un peu trop prégnante, pénible, même lourde par moments. Les seconds rôles ne sont pas particulièrement marquants, ils défilent d'ailleurs un peu trop rapidement, Oscar Isaac en Gauguin, Mads Mikkelsen, Mathieu Amalric, Emmanuelle Seigner, Niels Arestrup... L'effet produit se révèle presque contre-productif tant il détourne l'attention sur des points insignifiants. Malgré tout, même s'il manque une bonne dose de contemplation dans cet espace (les excès d'effets subjectifs finissent par être pesants), le petit côté insolite de la rêverie poétique m'a permis d'apprécier le voyage.