Voilà un documentaire assez envoûtant. Une véritable oeuvre d'art, qui se confronte à un sujet glauque à l'extrême : la prostitution et la drogue. On n'est pas surpris d'apprendre qu'Antoine d'Agata est photographe tant l'image est travaillée, chaque plan soigneusement pensé, dans son cadrage comme dans son éclairage.
Atlas est une déambulation dans le monde le plus souvent nocturne de la prostitution (féminine exclusivement). Sur les images très stylisées du réalisateur, les textes issus des paroles de ces femmes. Ces textes sont eux aussi stylisés, peut-on penser : trop poétiques pour être sortis spontanément de la bouche de ces femmes, souvent issues de milieux peu lettrés. Ces textes sont à mes yeux la principale faiblesse du projet : trop abscons, en décalage avec une réalité très prosaïque. Je comprends le projet, la sublimation voulue par l'auteur, mais je n'ai pas toujours accroché au côté nébuleux des messages transmis sur les images.
Après une ouverture sur une femme brésilienne, où l'on ne verra pratiquement que la mer, direction l'Ukraine. Antoine d'Agata nous montre là des femmes contre des murs, émergeant de l'obscurité. D'authentiques sculptures, c'est très beau. Puis on se retrouve en Inde pour ma séquence préférée : sur une musique répétitive lancinante, on voit surtout des hommes se droguer, parfois des femmes aussi. A un moment, se superpose à la musique de base, chantée par un homme, une autre musique, chantée par une femme. Les deux boucles se conjuguent sans chercher à vraiment s'unir. Une métaphore musicale de la prostitution.
Puis c'est un pays asiatique, Malaisie, Cambodge ou Vietnam. Là, Antoine d'Agata montre carrément un rapport sexuel, mais toujours très stylisé : l'homme écrase de tout son poids la femme qu'il prend en levrette. Celle-ci finit par s'affaisser sous lui, les deux restent ainsi figés un long moment, autre sculpture.
Le voyage se poursuit, il serait trop long de tout décrire. Je retiens l'image de cette femme qui, après l'homme, tête une bouteille longuement. On la voit un peu plus tard dans un rapport sexuel, sa tête uniquement. Puis un long plan sur une ruche, bien tuilé avec le plan précédent. Ailleurs, une femme recroquevillée dans sa salle de bain, autour de laquelle tourne la caméra. Il y a aussi le tout dernier plan, aux Etats-Unis, une ombre s'éloigne dans le brouillard qui finit par tout recouvrir.
Des chiens qui s'entrégorgent ou des vaches agonisantes viennent parfois s'insérer dans le périple, disant aussi la violence de ces situations. Parfois aussi les corps sont scarifiés, abimés, vieillis prématurément.
Une profonde mélancolie se dégage de tout cela. Dans les textes, les femmes disent la dépossession, ce corps qui leur devient étranger, une sorte d'absence à elle-même. Mais aussi le désir : celui qu'une véritable relation s'établisse avec un homme, l'un de leurs clients sans doute. On les voit aussi se masturber, toute jouissance n'est pas éteinte. Mais il n'y a guère de bonheur dans tout cela, et l'expression "fille de joie" n'a jamais semblé si grinçante.
On pourra reprocher au film de ne montrer qu'une face de la prostitution, la face sombre. Qui, sans doute, est prépondérante, mais on sait aussi qu'il existe une prostitution choisie et vécue sereinement. Le film n'a pas choisi de la montrer, un parti pris qu'on peut respecter, en ayant conscience qu'il y a bien parti pris, non description exhaustive et neutre d'un phénomène.
L'essentiel est ailleurs : Antoine d'Agata parvient superbement à une opposition forme/fond : d'une réalité sordide, il fait émerger la beauté. Tel le lotus s'épanouissant dans la fange.
7,5