Ni Bonheur, Ni Ogre, Ni Plaisir
Curieux de voir un nouvel objet rare après Les Enfants de Timpelbach (2008), je n’ai aucun souvenir de ma lecture du roman de Daniel Pennac il y a bien longtemps. Si je trouve un vague écho loufoque entre les deux œuvres, c’est là un des trop rares plaisirs du film.
L’ensemble ne démarre pourtant pas trop mal. Le générique d’ouverture est rythmé et graphique : des couleurs, du contraste. Une mécanique bien huilée qui évoque déjà ce qui m’a toujours séduit dans le travail de Nicolas Bary, jusqu’ici. Le film s’ouvre avec le grand magasin où travaille le héros, Benjamin Malaussène, préposé aux plaintes. Et assez vite, les premières impressions visuelles sont décevantes : ça fait très téléfilm français. De peu d’exigence et donc, de peu de caractère. Il y a une distance au décor et au personnage, une sympathie certes, mais froide, sans engagement. Le film retrouve un peu plus de caractère justement dans le second décor principal, à savoir l’intérieur où Malaussène vit avec et élève les enfants de sa mère, nombreux demi-frères et demi-sœurs. Décoration et accessoires sont à l’honneur, rien de bien inventif mais une présence qui humanise par contraste avec le magasin. La lumière n’y est pas non plus extraordinaire, mais elle est plus juste, plus précise. Je ne peux nier le travail sur la forme mais je regrette profondément le manque d’ambition. La complaisance à l’accessible et l’absence totale de recherche graphique et narrative innovante appuient la platitude.
Graphiquement, j’ai apprécié un plan brumeux des toits de Paris à l’aube et le travail discret de la lueur sur de rares plans d’ensemble, l’étalonnage clair et désaturé des quelques séquences de flashbacks, et le très beau traveling circulaire qui emmène le personnage interprété par Emir Kusturica d’un présent sombre mais coloré vers un flashback lumineux. J’ai cependant été déçu par la passivité de l’ensemble, sa morne conformité à l’inexigence française. Lors que Les Enfants de Timpelbach était une œuvre truffée d’inventivité, portait un regard inhabituellement décalé, coloré, rythmé, Au Bonheur des Ogres apparait bien terne. Il m’a fallu attendre plus d’une heure pour voir le film inclure un peu de rêve et d’irréel graphique, avec un magnifique ralenti lors de la troisième explosion – où j’ai pu relever ô combien Bérénice Bejo est sexy en rousse ! Douze ou quinze secondes de grâce. C’est bien peu. Le travail photographique le plus accompli apparaît sur le générique de fin, c’est bien décevant.
L’histoire n’est pas assez épaisse pour faire un film. Le constat vient de ce que j’ai vu, il me faudrait relire le roman de Daniel Pennac pour me faire une idée plus juste du travail d’adaptation, mais le film ne développe aucun enjeu significatif prêt à nous tenir en haleine de bout en bout. Il en résulte une malheureuse impression de sketches désuets, parfois tendres, souvent grotesques ou quelconques. L’impression vagabonde d’une douceur burlesque et le peu de poésie du personnage ne rattrapent pas l’attention fuyante du spectateur : j’ai rigolé, trop peu, je me suis ennuyé, longtemps, et j’ai été plus qu’insatisfait par la résolution absurde de l’intrigue policière…
Une histoire insatisfaisante dans laquelle les comédiens ne peuvent rien rattraper. Raphaël Personnaz fait assurément ce qu’on lui demande, ce n’est pas assez. Bérénice Bejo, de sucre et de sourire, ne brille que par son sex-appeal dans un rôle sans relief. Guillaume de Tonquédec, directeur coincé dans ses angoisses, est très bon mais son rôle trop incertain. Thierry Neuvic m’a toujours semblé insignifiant, plat et inexpressif. J’apprécie évidemment la présence d’Emir Kusturica, excusez du peu, qui fait correctement ce qu’on lui demande avec visiblement beaucoup de plaisir. Sa voix profonde donne de l’épaisseur à son personnage, appréciable dans une galerie de portraits bien légers.
Une longue déception pour moi. Je suis très loin de retrouver la magie, l’enchantement de l’inventivité de son premier long métrage, la fascination des concepts et des points de vue qu’il y développait dans la foulée de Judas, son excellent court-métrage. Je ne retrouve rien de la promesse de renouveau graphique, de la promesse d’ambition de son travail initial… Un film calibré pour le grand public, dénué de complexité et d’enjeu, dénué de beauté et d’envie.
Matthieu Marsan-Bacheré