Pour son premier long-métrage, Wes Hurley, de son nom de naissance Vasili Naumenko, s’offre une approche autobiographique singulière. Après avoir réalisé les courts documentaire « Little Potato » et « Potato Dreams » quatre ans plus tôt, la possibilité de voir naître son univers désenchanté l’emmène sur les planches de Deauville et plus loin encore sur le sol américain. Cela sonne comme une délivrance pour le cinéaste, qui n’aspire pas à rationaliser son récit ou à la romancer. Il aime annoncer que la quasi-totalité de son œuvre constitue authentiquement sa vie de l’enfance à l’adolescence. On y découvre le portrait d’un jeune plein d’espoirs et de rêve, mais ces sentiments, qui le rende plus humain que ses camarades doivent rester cachés, sous peine de s’enfoncer davantage dans la solitude et de détruire l’harmonie de son modeste sanctuaire familial.
Potato Russe (Hersh Powers) traverse le couloir de sa chambre jusqu’à l’école avec un engouement qui rappelle cette jeunesse endoctrinée de « Jojo Rabbit ». Ses conversations loufoques avec Jésus en témoignent, mais c’est avant tout pour se rapprocher d’un univers sombre et onirique, que Hurley décide d’explorer la théâtralité de cette ouverture à Vladivostok. De ce côté-là, il convoque également l’aura et la technicité de Wes Anderson, notamment dans ses décors et ses travellings. On y restitue alors les souvenirs d’un garçon troublé par son orientation sexuelle, mais surtout sa passion pour les films américains, évidemment considérés comme des déviances à éradiquer en URSS. À force d’insister, il finit par hériter de la sagesse de sa grand-mère, Tamara (Lea DeLaria) et de la souplesse de sa mère Lena, qui rêve également d’une vie meilleure pour sa famille. Les références s’accumulent avec un humour décapant et le réalisateur réussit l’exploit de convertir son audace en une belle fresque émouvante, dont le détour à Seattle sera déterminant.
Enfin loin de l’inconfort moral et de la suprématie de son gouvernement, Potato (Tyler Bocock) arrive en Amérique avec la plus grande désillusion. Il a grandi, mais ce qu’il ne parvient toujours pas à faire, c’est de s’intégrer, faute d’accent, faute d’un nom évoquant l’immigration, faute de sa personnalité qu’il juge anormal. C’est l’adolescent qui se confronte à autant de soucis qui le torturent intérieurement, de son domicile à son école, encore une fois. Bien qu’il soit moins sujet au harcèlement de ses camarades, il ne trouve pas là cette liberté dont il vantait les mérites devant ses films références. Pourtant, c’est bien dans le cinéma qu’Hurley y a trouvé la force de pleinement s’exprimer et de s’affirmer. On passe à un format plus pictural et l’on se sent moins confiné par les barrières mentales qui imprègnent son enfance russe. Les plans projettent de plus en plus Potato en extérieur, affrontant d’autres mœurs, parfois les mêmes qu’il a ramené de son pays d’origine, mais il est conscient des opportunités qui s’offrent à lui. Il peut aussi bien changer, mais jamais il ne pourra renier son identité, qu’il aura forgé par ses convictions et dans le tendre soutien de sa mère (Marya Sea Kaminski).
Le dernier obstacle qui se dresse face à lui est cet inconnu, qui l’a délaissé un peu plus tôt ou qui le couve dans sa nouvelle vie. John (Dan Lauria) est un mari par correspondance et par conséquent, un père par procuration. Sa politique conservatrice est un fléau pour le bien-être de Potato et de sa mère, qui découvrent peu à peu le revers de la médaille. Mais comme tout personnage minutieusement choisie et délicatement écrit, tout le monde finira par trouver sa place, sans que le discours soit naïf. « Potato Dreams Of America » appelle à une confiance mutuelle, mais ne lèvera jamais le point pour une révolte qui n’est pas la sienne, car ne l’oublions pas, cela reste une histoire personnelle, vécue comme telle, mais qui encouragera affectueusement le rêve d’un enfant et l’adulte qui s’accepte.