J'ai presque honte du titre. J'ai hésité avec une variation sur "les bons comptes / contes font les bons amis / acteurs / films", enfin bref.

Le dernier Bacri-Jaoui - ou plutôt le dernier Jaoui-Bacri (rendons à César...), déroute d'emblée. C'est simple, le premier plan du film m échappe totalement. Sans doute grâce à un ingénieux split screen coulissant et panoté, un rideau d'arbre s'ouvre sur... d'autres arbres. Il était une fois une princesse qui se promenait dans une forêt kitsch. Le ton, onirique de pacotille, étonne et surprend, les contrepoints comiques (une fois sortis du rêve - ou bien pas tout à fait ?) ne fonctionnent pas totalement, les petits caprices baroques et farfelus sont parfois incompréhensibles ou nous sortent du film. C'est un chat qui miaule mais ne bouge pas, ce sont des plans truqués (joliment) et des éléments de décors incongrus ou escamotés. Drôle d'ambiance. Cette première demi-heure déroutante lance les différents fils rouges et présente les personnages. Y sont savoureux tant les comédiens que les dialogues, souvent brillants.

Puis le film se calme un peu, et, conservant quelques caprices plutôt bien sentis (chaque séquence démarre sur un plan truqué en forme de tableau-mosaïque, très joli), nous entraîne dans son petit tourbillon d'histoires ordinaires mais merveilleuses. En guise de fil d'Ariane, des références malicieuses à différents contes et récits mythologiques. Sont ainsi mis sur le même plan (grande idée et force du film) : légendes, superstitions, religions, marottes, contes, et récit même du film. Une enfant se croit touchée par la grâce mystique, mais ce n'est qu'un leurre ou une lubie passagère, comme celle qui prend une autre enfant, décidée à jouer un chien. Un homme rationnel, solitaire et bougon se met à croire fermement qu'il va mourir à cause d'une voyante, mais persiste à dénigrer la validité de tels jugements pour d'autres personnages du film. Une mère se fait marâtre de Blanche Neige, Jaoui est la bonne fée, débonnaire et libre, un peu coquine et bordélique aussi. Impérial, Biolay crée un personnage dandy, vaguement nocif mais terriblement séduisant, synthétisation du Grand méchant loup, de Méphisto et de Barbe Bleue... Tous les parcours sont malicieux, opèrent de subtiles variations sur leurs modèles, inversent les schémas... Dans un double mouvement contradictoire, le film s'éparpille en trajectoires possibles et visions divergentes d'un même motif (donc forcément convergent). Il est question d'amour, d'amour, d'amour. Filial et paternel, intense et jeune, libre ou aliénant, monogame ou volage... Aucune possibilité ne prévaut sur les autres et si un amour "normal", "conventionnel" et attendu triomphe, le film termine sur une dernière pirouette et ironise sur un carton réjouissant.

Dans ce maelström de relations fluctuantes mais jamais entremêlées, les voix s'entrechoquent, butent sur les mots. Un personnage est fermement bègue - mais c’est un musicien virtuose - tous les autres cherchent leurs mots et bégaient sans cesse mais jamais longtemps. La parole est aussi frénétique que difficile à imposer, la musique prend alors le relais : essentiellement baroque, mais parfois plus contemporaine ou pop, la partition du film est le liant de ces voix et de ces parcours, elle en est l'explicitation émotionnelle.

Une jolie petite symphonie de poche, bigarrée, inégale, intrigante, jouissive.
Krokodebil
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le 11 mars 2013

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Krokodebil

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