Volcano devils!
I have seen so much (sic) eruptions in 23 years that… heu… even if I die tomorrow, I don’t care. (Maurice Krafft, trop près du mont Unzen au Japon, en juin 1991, peu de temps avant une coulée...
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le 13 oct. 2022
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Katia et Maurice Krafft sont un couple de volcanologues. Ils sont reconnus notamment pour avoir filmé des volcans en éruption, s’approchant parfois jusqu’à quelques mètres seulement des coulées mortelles des volcans. Leur volonté de recherche scientifique, de vulgarisation et de sensibilisation les a amené à produire des centaines d’images. Celles-ci ont été restaurées après leur mort en 1991, conduisant à la production de deux films hommages, sortis en 2022.
La matière première de ces deux documentaires est donc la même, mais leur résultat est radicalement différent. Peut-être méritent-ils chacun une critique individuelle, mais il me semblait plus pertinent de les réunir, tant les défauts de l’un font ressortir les qualités de l’autre.
Dans Au cœur des volcans, requiem pour Katia et Maurice Krafft, Werner Herzog alerte sur le fait qu’il n’a initialement aucune intention biographique. Et effectivement, Fire of Love de Sara Dosa a, au premier abord, tous les défauts d’un film biographique, qui cherche avant tout à raconter une bonne histoire. Des figures de style dans le montage, des compositions de plans en mosaïques, un rythme parfois effréné en supercuts, des métaphores verbales peu subtiles, ou encore l’intervention d’images d’archives et d’animations en motion design donnent au film un aspect quelque peu tape-a-l’œil.
Le parti-pris d’Herzog est au contraire de “laisser parler les images par elles-mêmes”, sans artifice. Le réalisateur annonce observer leur travail d’un point de vue purement cinématographique. Il traite de l’évolution du couple, passant d’amateurs filmant leurs voyages comme de simples vacanciers vers de talentueux réalisateurs. Les premières minutes nous montrent tous les défauts de leur caméra et la voix d’Herzog se superpose aux images pour nous en livrer une analyse critique. Pas de cadrage, pas d’action, pas de poésie, les volcanologues se contentent de capturer des détails insignifiants, parfois d’ailleurs accompagnés d'une horde de touristes. Mais rapidement, ils s’intéressent à l’image en tant que telle et commencent à se mettre en scène, répétant certains gestes jusqu’à la prise parfaite. Et lorsque la narration d’Au cœur des volcans atteint ce moment de perfection dans la chronologie des Krafft, le film se transforme en une succession de récits thématiques : éruptions, difficultés d’accès, scènes de désolations, etc.
La magnificence des images est indéniable. Katia et Maurice filment les paysages du vide comme personne. Ces couches de cendres de plusieurs mètres de hauteur ; ces kilomètres et kilomètres d’arbres couchés sur le sol, soufflés par les ondes de choc, crient au silence. Mais Herzog vient systématiquement les accompagner d’une musique classique grandiose, mécanique attendue certes efficace, mais qui lasse rapidement.
Peu à peu, ils sont remplacés dans les plans par des figures humaines, qu’Herzog choisit de rythmer avec des musiques locales. Le réalisateur nous explique que les enjeux du travail du couple passent de scientifiques à humanitaires. Ils s’attardent davantage sur les peuples qui luttent pour se remettre des conséquences des éruptions, ou qui vivent simplement là, sans toujours être conscients du danger qui les guettent.
Ce que montre le cinéaste, c’est que ces scientifiques ont compris que filmer les volcans ne se résume pas justement à capturer leur image, mais également celles des conséquences des catastrophes qu’ils engendrent, ou pourraient engendrer. Cependant, dans leur travail, ces géants ne sont jamais oubliés et leur ombre reste toujours en arrière-plan. Le réalisateur évoque d’ailleurs en voix-off une citation de Katia révélant qu’elle ne pourrait pas vivre sans les volcans. Le couple ne pouvait tellement pas s’en détourner qu’ils en sont morts en 1991 lors d’une éruption du Mont Unzen au Japon.
Pourtant, Herzog, lui, semble les oublier complètement. La beauté surprenante des images de lave en fusion, qui rend pourtant le travail des volcanologues si singulier, est reléguée à une simple partie du documentaire, dans la catégorie “création divine”. Parce que le réalisateur ne s'intéresse absolument pas à Katia et Maurice, et cela se ressent. Dans un sens, il nous avait prévenu. Mais il ne paraît même pas se préoccuper de leur sujet de recherche et n’a d’intérêt que pour les visuels produits. Si Sara Dosa nous présente, par leurs images, ce qui intéressaient Katia et Maurice, Herzog nous montre ce qui, lui, l'intéresse dans leurs images.
Contrairement à Fire of love, Au cœur des volcans ne transmet aucune passion, car le film traite en réalité de l’admiration, voire de la jalousie d’Herzog. Celle de ne pas avoir capturé ces images lui-même. Celle de ne pas avoir pu les accompagner dans leurs aventures, comme il l’affirme si bien. Celle de ne pas avoir vécu la même vie que le couple.
Le sous-titre du film annonce “Requiem pour Katia et Maurice”. Pourtant, on n’entend jamais leur voix prononcer plus de quelques mots. Celle d’Herzog par contre, est continue. Et cette voix-off est non seulement mal structurée et ne fait que décrire ce que l’on voit à l’écran, mais elle rend aussi le film très bavard.
À l’inverse, Sara Dosa comprend l’importance du regard du couple et de leur propre récit. Ils ne sont pas de simples passeurs d’images : leur amour pour leur sujet est indissociable de la compréhension même de leur travail. En leur laissant la parole à travers des passages d’interviews, elle les fait devenir acteurs de leur histoire et de son film. Elle n’hésite pas d’ailleurs à aborder la vie privée du couple. Se focaliser davantage sur leur vie permet à la réalisatrice de toucher à ce qui les différencie fondamentalement, à travers leur vision du monde et de leur travail. En effet, avec son appareil photo, Katia capture un instant du réel, là où Maurice cherche à saisir la nature en mouvement. Fire of love nous permet donc de nous attacher à chacun d’eux, contrairement à Au cœur des volcans, qui est extrêmement froid.
La façon dont est traitée la mort du couple en est le meilleur exemple. Herzog choisit d’y accorder des longs passages de son film, en introduction et en conclusion. L'événement est dramatisé, annonçant le décompte des jours et des heures comme pourrait le faire un thriller. Le réalisateur va jusqu’à chercher la dernière image du couple avant la mort dans les plans filmés par un journaliste japonais, et l’agrandir afin de tenter de les reconnaître sur le cliché. Ce montage le ferait presque passer pour un voyeur, à la manière d’un Weegee obsédé par la mort et les faits divers. Chez Sara Dosa, l’accident est relégué aux dernières minutes de son film, comme une simple justification pour arrêter ici l’histoire. Au sein de la catastrophe de l'éruption, leur mort semble presque douce. Elle est en tout cas loin d’être dramatique, comme l’affirme Maurice. « J’ai vu tellement de belles choses que je me sens plus que centenaire. » Leur mort est d’ailleurs toute naturelle au regard des risques encourus. Comme ils s’y attendaient eux-même, ils se sont mis une fois de trop en danger.
Et c’est là où leurs images prennent tout leur sens : dans la difficulté et le danger surmonté pour les atteindre. C’est d’ailleurs par cette thématique que commence Fire of love. Un camion traverse la neige. La réalisatrice laisse courir le plan. Maurice en sort armé d’une pelle, pour déblayer devant les roues. Il y a bien là un mètre cinquante d’eau glacée. Ils décident de grimper à pied. Bravant le froid, emmitouflés sous leurs manteaux, le couple prend le risque de se retrouver bloqués dans l’hiver. Séquence simple, silencieuse. On a saisi que la mort les guettait.
Cette conséquence presque inévitable de cette mise en danger, Sara Dosa l’évoque par des citations du couple ou des passages d’interviews. L’utilisation de leurs propres mots est bien plus forte qu’une description, puisqu’ils savent déjà que c’est ici que leur destin se joue. Maurice nous dira à propos des volcans : « Ce sont des bombes dont les mèches sont allumées, et généralement, on ne connaît pas la longueur de la mèche. » Katia, elle, nous avoue avec une certaine insouciance qu’elle préfère que son mari la précède. Dans l’hypothèse où il tomberait, elle a choisi de le suivre dans la mort.
Dans Au cœur des volcans, leur imprudence ne se résumera au contraire qu’à quelques minutes d’une succession de courts plans de camions dans la neige ou de marche au bord de la falaise, accompagnée d’une voix-off expliquant qu’ils se mettaient en danger, et par la même occasion les journalistes qui les suivaient.
Finalement, bien que l’on ne s’y attende pas, Herzog ne fait qu’expliquer ce que Sara Dosa nous montre. Au cœur des volcans décrit et analyse la beauté des visuels, Fire of love nous les brandit et nous laisse juger par nous-même. Il propose d’ailleurs tout un travail de détails inexistant chez Herzog. Dans sa recherche de mouvement, Maurice a atteint presque une abstraction. Derrière ces gros plans de textures, on ressent l’amour de la nature.
Et c’est cet amour que Sara Dosa filme comme un personnage à part entière. Il se traduit à la fois comme une histoire d’amour entre Katia et Maurice, mais également entre eux et la nature. « Katia comme moi, quand nous nous sommes mis dans la volcanologie, on était peut être un peu déçu par l’humanité. Et comme le volcan, c’est quelque chose de plus grand que l’homme, on s’est dit : voilà ce qu'il nous faut. »
Cet amour n’est pas à sens unique, mais est bel et bien réciproque. Sara Dosa touche ici à quelque chose de subtil, en les fondant dans leurs volcans. Elle nous fait percevoir cet amour insaisissable de la nature qui nous embrasse jusqu’à l’étouffement, ce qui arrivera à Katia et Maurice. En brûlant dans les coulées pyroclastiques, ils ont laissé des traces sur le sol. Ils sont décédés côte à côte sur le mont Unzen en un triangle amoureux, véritable polyamour. Finalement, ne serait-ce pas cela, la pura vida mexicaine évoquée dans le film de Herzog : avoir vécu pleinement, proche de leurs amours, jusque dans la mort ?
Fire of love met l’accent sur ce qu’ils laissent derrière eux : un changement significatif sur la façon dont les autorités évacuent désormais les populations grâce à eux, et les plus belles images de la nature qui n’aient jamais existées.
« Part of Katia and Maurice’s story remains lost. As in love, there are mysteries. »
Créée
le 8 févr. 2025
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