L'œil de lumière de la tour Eiffel troue l'obscurité, balaye lentement l'espace jusqu'aux arbres, aux pelouses et au lac. Ce n'est plus l'heure des exercices sportifs ou des promenades en famille. De nuit ou de jour, le bois de Boulogne est admirablement filmé par un éclatant soleil printanier, chargé de feuilles jaunes et roussies par l'automne ou sous la neige. Claus Drexel présente son documentaire comme un conte sylvestre. Cherche-t-il se convaincre lui-même ? Dans sa présentation au public, il force beaucoup la note... La réalité est nettement plus prosaïque...


Femmes, hommes, travestis, transsexuels de plusieurs nationalités et de tous âges ont échoué un jour au bois de Boulogne. Racoleuses ou raccrocheurs s'exposent en bord de route, au volant d'un véhicule ou près des arbres. Les clients viennent en voitures, s'arrêtent, les regardent, ouvrent leur portière. Un trio de policiers en VTT déambule sur les sentiers. L'un d'eux, s'il est tenté, se fait client.


Au milieu de feuilles mortes, Isidoro, assis sur un pliant, sourit à la caméra, soigne une pose de vamp. Lunettes de soleil, foulard, manteau simili léopard. Un grand parapluie multicolore complète sa panoplie. Exhibitionniste résolument optimiste, il témoigne avec plaisir devant la caméra. D'autres ont mis des années à franchir le pas... Samantha, au visage brouillé par le silicone, aime travailler en pleine nature. Elle tapine depuis ses quatorze ans, apprécie d'être indépendante. Et la solidarité entre collègues existe encore.


Le film en avant-première est présenté par Claus Drexel, son équipe et un trio du bois du Boulogne (Genevière, Isidoro et Samantha). Geneviève, "historienne" de la prostitution dans le documentaire, rappelle quelques faits depuis la Libération (1944). La loi Marthe Richard entraîne la fermeture des bordels. Considérées comme indigentes, les prostituées sont soignées gratuitement.


Un trans brésilien adossé à un arbre mentionne ses ennuis : intimidation, refus d'enfiler une capote ou de payer. Dans le boudoir rose bonbon de sa camionnette, Paola résume sa vie au Brésil. Elle a trouvé à Paris un travail salarié qui n'a pas duré. Elle déteste se prostituer, mais a besoin d'argent. A-t-elle le choix ? Un travesti français accepte tous les sexes, hommes, femmes ou autres dans sa camionnette. Il se sent utile auprès de handicapés ou de personnes isolées. Certains clients réguliers deviennent des amis.


Geneviève évoque la liberté des années 1970. La situation des gagneuses était florissante, malgré le bombardement des P.V, car les clients pullulaient. Dans les années 1980, elles doivent payer des impôts, n'ont ni sécurité sociale, ni retraite... Sous Nicolas Sarkozy, les voilà délinquantes ! Toutes haïssent la loi du 13 avril 2016 qui pénalise les clients. Beaucoup se sont évaporés par crainte de stigmatisation sociale...


Confrontées à une forte précarité et à une concurrence entre clans, les marchandes d'amour tentent de rester solidaires. Quand un client se fait brutal, les hurlements de la victime attirent ses collègues, ce qui clôt l'incident. L'argent est la motivation essentielle, la récompense qui fait endurer tous les maux. Geneviève affirme que pendant l'acte sexuel, son esprit s'échappe, ignore ce que fait son corps. "Un client croit parvenir un jour à me faire jouir. Je lui souhaite bien du courage ! Il n'y arrivera jamais !"

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le 7 déc. 2021

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