Trois films en un ; projet conséquent, imposant et important que nous livre ici Jia Zhang-ke, surement son plus ambitieux.
La première partie reste à mon sens la plus réussie.
Réduisant le champ d'action de ses personnages à un éprouvant format 4:3, le réalisateur les enferme dans leur relation destructrice, triangle amoureux classique mais débordant d'originalité qu'il met admirablement en scène et dont il scrute avec finesse tous les enjeux.
Par une direction d'acteurs maîtrisée, le triangle se fait physique, l'affrontement chorégraphié. Sa caméra impose dés lors son style sibyllin, ses traitements d'images osés, son humour débridé trempé dans une mélancolie certaine que soulignent la délicate musique et la grisaille de cette ville chinoise, loin du centre bouillonnant de cette Chine en période de communisme trépassant, livrant le pays à lui-même et le plongeant soudain dans un capitalisme plat.
C'est tout l'objet de cette seconde partie, en 16:9, bien plus mélo-dramatique et nettement plus grave. Elle donne la part belle aux personnages de Tao et de Liangzi, se retrouvant dans leurs solitudes et leurs morosité face à une époque où le capitalisme ambiant, dorénavant prononcé et imposé, pollue les villes, fait disparaître les emplois et place dans les mains de tous des objets connectés, qui, à défaut de favoriser le contact, le rendent encore plus froid. Le point de vue de Jia Zhang-ke est osé, car ni évident ni simple, accumulant les détails en apparence inutiles mais qui délivrent un sens certains (lorsque la métaphore n'est pas si poussée qu'elle reste incomprise), point de repères dans un film décousu et ternaire. Sa caméra se garde bien de montrer l'évident, de faire entendre le facile, rendant le style parfois hermétique.
L'hermétisme est bien ce qui caractérise cette troisième partie, anticipative, en scope, qui annonce un futur (proche) dépareillé, mondialisé, sans repaire ni culture acquise. L'anglais aurait tout envahi, emportant sur son passage culture, coutumes et langues, laissant derrière lui un monde, certes beau, mais lisse, d'une imparfaite perfection, d'une obscure lumière.
Avec un style doux, coloré et fade en même temps, rappelant aisément, en une image, les ambiances délivrées par quelques uns des récents films d'anticipation (Her en tête), le Chinois introduit en profondeur un nouveau personnage, jeune homme paumé, sans repères culturels et nationaux, ni familiaux. Les paris scénaristiques sont osés (présenter un tel monde que la culture occidentale aurait affadi et que le communisme maintenait dans sa culture, sa couleur et sa vie, n'est pas évident, mais le mérite d'être assumé), l'intrigue se brouille un peu, les enjeux s'emmêlent, le trajet se perd et le vide laissé par cette inconsistance tente d'être rempli par des passages très bavards et un peu lents.
Si l'absence de fougue et de vitalité est justifiée, le style, en revanche, perd en partie son ingéniosité.
Néanmoins, cet étonnant triptyque se clôt le mieux du monde par une ultime scène splendide, leçon de liberté, aux accents comico-tragiques, qui fait voir le film, dans ses dernières secondes, comme un portrait de femme, rare et précieux