Jia Zhang-ke n'est plus à confirmer comme auteur chinois spécialisé dans l'histoire de son pays, et avec son nouveau film, il nous fait à nouveau voyager à l'intérieur mais aussi cette fois à l'extérieur de la Chine. Construit en trois parties, chacune a son format : de plus en plus large, expression notamment de l'élargissement des possibilités avec la modernisation du monde, devenu plus grand de par son accès.
La première est centrée sur la femme qui représentera le fil rouge de l'oeuvre, et sur ses deux amis d'enfance, chacun amoureux d'elle. Bien sûr, un choix doit s'opérer entre le riche capitaliste et le simple minier, Tao optant (malheureusement) pour le premier, preuve de l'attachement des Chinois au matériel, la richesse étant considérée comme le bonheur par la majorité d'entre eux. Ce premier segment est mon préféré, notamment du fait de la mélancolie qui le parcoure, Tao étant extrêmement attachante, notamment du fait de sa jovialité sans faille. Jovialité qui disparaîtra lorsqu'elle s'apercevra qu'un conflit entre les deux hommes est né, et qu'il ne sera réglé que via un sacrifice, celui de son amitié avec Liangzi, malgré le fait qu'il soit plus agréable et posé que son ennemi. Etant presque sûr que ce choix est le mauvais, la suite annonce logiquement des choses plutôt sombres.
La deuxième partie s'ouvre magnifiquement avec Liangzi perdu dans la masse de ses nouveaux collègues, ce dernier cherchant désespérément du travail bien que cela le tue à petit feu. Son retour au bercail annonce des retrouvailles avec son ancien amour, Tao n'hésitant pas à l'aider car ayant (sans doute) toujours des sentiments pour lui, ce qui marque à nouveau l'aspect mélancolique de ce film, ponctué par les erreurs humaines qui ne mènent qu'à la solitude. Solitude que vit malheureusement pleinement Tao qui a laissé tomber la garde de son fils afin qu'il vive mieux (i.e. avec plus d'argent). Après avoir perdu son mari, elle a donc également perdu son fils (puis son père!), qui malgré leurs quelques jours passés ensemble ne le considère pas comme sa mère. Quoi de pire pour une mère, justement? Privée de bonheur marital du fait de sa faute (choix du bling-bling plutôt que de l'heureuse simplicité), elle se retrouve privée de l'amour de son enfant alors qu'elle l'aime profondément et ne demandait vraisemblablement qu'à être une bonne mère. Symbole de cette Chine perdue entre tradition (raviolis) et néo-capitalisme foudroyant, Tao disparaît progressivement pour finalement s'effacer totalement, seule dans sa ville natale (dernière scène du film, incroyable), après avoir tout perdu, sauf son fidèle chien.
Malheureusement, la dernière partie en cinémascope ne m'a pas plu du tout. Entre jeu très faux des acteurs et manque d'attachement aux personnages (Tao manque cruellement au film), ce segment australien est difficile à regarder. L'absence quasi-totale de langue chinoise est un signe de cette perte de traditions et se fait tellement ressentir que je ne voulais plus les entendre parler anglais, ne désirant que retrouver Tao. L'aventure entre Dollar et sa professeure n'est pas crédible du tout, et bien que cette partie illustre bien la perte de repères de Dollar et de la Chine elle-même, la lourdeur de la chose est embarrassante. Dommage que Jia Zhang-ke ait sombré dans la médiocrité pendant toute cette partie, mais cela n'empêche pas d'apprécier le film dans son entier. En effet, bien que raté sur la fin, ce film se clôt par cette scène remarquable de Tao dansant sur Go West dans la neige: seule avec ses souvenirs, le visage désormais plein de tristesse, il ne lui reste plus grand-chose d'autre que sa pureté.