S'il faut raconter une histoire, il faut le faire à la manière de Jia Zang-ke. Dans Au-delà des montagnes, la matière romanesque se densifie sans altérer la finesse du trait. Le mouvement continu est fracturé, la simplicité apparente habillant une structure subtile et audacieuse.
A touch of sin racontait la Chine contemporaine de manière spectaculaire et frontale. Au-delà des montagnes en reprend la thématique dans une narration beaucoup plus minimaliste. On suit la jeune Tao aimée par deux hommes, choisissant d'épouser l'un, l'autre s'effaçant, donnant naissance à un fils, de 1999 à 2025 entre la Chine et l'Australie.
Le film est habité par une profonde mélancolie, un sourd désespoir qui éclate dans la dernière partie. C'est alors que tout se reconstruit, que l'ironie s'immisce tandis que la tristesse s'apaise, qu'espoir et fatalité rivalisent et que les larmes nous viennent devant les sublimes derniers plans.
La leçon de cinéma est de tous les instants. Peu de dialogues, quelques phrases, des tableaux se succédant, des plans bouleversants, l'art narratif de Jia Zang-ke est une mécanique de précision. Jouant sur les différences de cadre avec beaucoup plus de subtilité que Dolan, la mise en scène travaille l'image et enrichit le tout d'infimes détails, des lieux que l'on revoit, un pull à rayures, une clé, une invitation...
Jia Zang-ke suit Tao, les deux hommes qui l'aiment, puis son fils Dollar, quatre personnages puis quelques autres, laissant les uns pour se concentrer sur l'histoire de cette femme, de son père, de son fils. La puissance romanesque grandit et se nourrit d'elle-même jusqu'à une dernière partie incroyable.
Il est donc question de destin personnel, de celui de la Chine, de l'avancée du monde. L'audace de la dernière partie sonne avec d'autant plus de force qu'elle revient sur tous les thèmes du film, entre fatalité et libre-choix. La puissance des personnages dessinés par le cinéaste apporte au film sa chair et son sang, la matière des grandes œuvres romanesques.
On n'écoutera plus jamais Go west des Pet shop boys de la même manière.