Au nom du père.
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le 1 oct. 2019
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Venu du journalisme et du documentaire, Édouard Bergeon signe ici son premier long métrage sur un sujet qui lui tient particulièrement à cœur. De ce fait Au nom de la terre dégage beaucoup d’émotions et de nombreux détails sonnent juste.
Le film met en évidence combien la terre est belle. L’amour de la terre est donc au centre du film, avec l’amour unissant la cellule familiale constituée autour de Pierre Jarjeau (Guillaume Canet parfaitement crédible). Une première partie, relativement courte, pendant les années ‘70 ,montre Pierre revenant à la ferme familiale après un stage aux États-Unis pour apprendre ce qui se fait de mieux. Rapidement, il épouse Claire (Veerle Baetens), rachète la ferme à son père et agrandit sa petite famille avec les naissances de Thomas (Anthony Bajon) et Emma (Yona Kervern). Ambitieux et travailleur, Pierre compte bien faire prospérer le domaine.
20 ans plus tard, Pierre n’a toujours pas fini de rembourser l’emprunt contracté pour racheter la Ferme des Grands Bois à son père. Et, comme la situation du moment ne se présente pas trop bien, il est amené à rencontrer son banquier ainsi qu’un représentant d’une boîte spécialisée dans les installations agricoles. Malin et convainquant, Pierre va duper son banquier et signer un pacte avec le Diable en jouant son va-tout sur une nouveauté : un immense hangar pour élever des poulets. Installation ultra-moderne avec alimentation automatisée, qu’il se fait un plaisir de montrer à l’occasion.
D’une grande sincérité, le film montre le milieu paysan dans le contexte de l’époque. Le réalisateur met en scène une histoire qu’il connaît par cœur, trop peut-être car à force de vouloir évoquer tous les points importants à ses yeux, il finit par manquer de temps pour creuser suffisamment ce qui donne corps à son film. Pourtant, il a pris le temps du recul avant de raconter une histoire qui le touche personnellement (images de son père en conclusion).
Ainsi, le film montre Pierre donner de sa personne le jour où son installation automatisée tombe en panne. Cela vaut un face-à-face tendu avec son père (Rufus), incapable de taire ce qu’il pense alors qu’il est juste venu aider (un paysan ne refuse jamais une aide affirme-t-il). Si on devine ce qui guette Pierre, on voudrait davantage sentir les efforts démesurés avant d’en voir les conséquences.
Le plus intéressant dans ce film, c’est sa façon de faire sentir que les paysans sont complètement coincés par les évolutions de la société qui ne leur propose qu’une solution pour s’en sortir : en faire toujours plus. La réalité finit par les rattraper, car ils sont constamment sur le fil et pris à la gorge par leurs obligations. Ayant trop de dettes, ils n’ont guère le choix (même si Claire affirme qu’on a toujours le choix). Le film montre un homme orgueilleux qui ne voudra jamais demander un coup de pouce à son père qui en aurait les moyens. Le père qui ne comprend pas les difficultés de son fils, puisqu’il en est resté à l’époque où il suffisait de se retrousser les manches pour s’en sortir. Claire représente la voix de la sagesse féminine qui aimerait que la famille se contente d’objectifs réalistes (que Pierre ne prendrait pas seul). D’ailleurs, elle s’accroche à son travail de comptable à mi-temps en ville qui lui permet d’apporter ce qui fait vivre le ménage. Le film montre une famille unie, aux valeurs saines. Ayant toujours vécu à la ferme et régulièrement aidé aux champs, Thomas (le futur réalisateur du film) ne se voit pas d’autre avenir que de reprendre l’exploitation après les études d’ingénieur qu’il ambitionne. A-t-il déjà ses idées sur ce qu’il fera pour éviter de nouveaux pièges ? On ne sait pas, mais c’est terrible pour lui quand son père lui dit qu’il ne faut surtout pas prendre la succession. L’ambiance familiale n’est pas négligée mais un peu mièvre : quelques plaisanteries et des scènes à table, guère plus.
A partir de quel moment Pierre fait-il des mauvais choix ? Probablement quand il accepte cet élevage de poulets, alors qu’il avait déjà fort à faire avec les chevreaux. Mais, avait-il vraiment le choix ? Qui pouvait s’opposer à l’irruption en force des méthodes où le pragmatisme théorique fait loi pour la rentabilité dans l’agriculture ? Malheureusement, cette logique ne peut que trouver ses limites. En situant l’essentiel de son film 20 ans avant notre époque, Édouard Bergeon donne à réfléchir sur comment le système actuellement en place a pu émerger malgré le bon sens paysan. Malheureusement, aujourd’hui la situation est tellement difficile qu’on enregistre une moyenne d’un suicide par jour dans ce milieu en France (mais est-ce particulier à ce milieu ?) Un milieu dont les effectifs s’amenuisent et sont de plus en plus isolés. Un milieu qui se débat tant bien que mal entre une réglementation encadrée au niveau européen, des lobbies extrêmement puissants (industriels des engrais, fabricants d’engins agricoles, banques, dirigeants politiques et confédération paysanne), et des consommateurs de plus en plus méfiants et pas toujours au courant de comment comprendre les indications accompagnant les produits qu’ils trouvent dans le commerce (consommateurs manquant de temps et de moyens financiers pour faire au mieux).
Bref, le film ouvre beaucoup de pistes guère rassurantes. En passant de paysan à entrepreneur, Pierre s’éloigne du respect qui devrait être la base : respect de soi, respect des autres et respect des animaux. On note cette scène où il balance littéralement les chevreaux de mains en mains en les comptant. Ces chevreaux manquent de la tendresse la plus élémentaire, puisqu’ils sont parqués entre eux, sans le moindre contact avec la mère (alors que, dans les épreuves, la famille Jarjeau recherche ce contact émotionnel). Quand il sent que la maîtrise des événements l’abandonne, Pierre tombe dans une déprime noire. Se voyant comme un perdant, il voit tomber son estime personnelle, situation qui se retourne contre toute la famille.
Plutôt que de placer la responsabilité de ce terrible échec sur Pierre qui a pris des décisions lourdes de conséquences, le recul nous permet de l’attribuer au mercantilisme galopant. Ce ne sont donc pas des individus ayant accepté ce que la société leur faisait miroiter qu’il faut blâmer, mais un état d’esprit général qui conduit à de telles faillites (expression pas du tout anodine, car une loi du 30 décembre 1988 reconnaît la possibilité de faillite d’une entreprise agricole).
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le 27 sept. 2019
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