Il est toujours étonnant de découvrir un film qui, malgré ses plus de 50 ans, demeure non seulement totalement d’actualité mais se révèle même audacieux pour notre époque. Serait-ce que Dino Risi a été prophétique ou bien que rien n’a changé depuis lors – voire que l’état des choses a empiré et qu’au lieu de progrès il y a eu rétrogradation ?

Mer polluée par des vagues de déchets, poissons morts par intoxication, trottoirs souillés par les détritus, routes qui s’effondrent, bâtiments construits à même la plage : images quasi apocalyptiques d’un monde décadent où la Nature dégradée, attaquée et violée se voient remplacée par l’œuvre infâme de l’Homme, rejeton d’un mariage entre une industrie dévorante et un capitalisme vénal, égoïste et sans scrupules. Voilà le cauchemar halluciné que Risi nous propose. Le pire, c’est qu’à l’exception du juge, personne ne se rebelle : tout le peuple italien semble n’avoir d’yeux et d’oreilles que pour le match de football. Tout un symbole – distraire l’opinion publique, utiliser l’aspect émotionnel plutôt qu’intellectuel, maintenir le peuple dans l’ignorance, autant de stratégies de manipulation des masses, selon Chomsky, résumées dans ce banal fait social.

Pendant ce temps, Santenocito, personnification du capitalisme sauvage, excelle déjà dans l’art de la communication avec une logorrhée inépuisable, riche en éléments de langage, propre à embrouiller le simple citoyen désemparé face à ces fioritures verbales. Il se fout de l’Autre (de sa femme qu’il trompe allégrement et même de son père dont il se débarrasse salement), du bien commun, de l’État, de la nature, privilégiant avant tout l’intérêt personnel, l’argent, l’autosatisfaction, quitte à faire rouler des têtes (principalement celle de la Justice). Bref, un monstre moderne – pour d’autres un modèle de réussite.

Or, le point de vue de Dino Risi est clair : Santenocito est hautement condamnable. Par ailleurs, il le dépeint comme un être au fond fragile et craintif, pas si sûr de lui, se rendant compte que son empire peut s’écrouler d’un jour à l’autre lorsque cet entêté de juge s’en prend à lui et explore toute sa vie privée et ses travers afin de le faire tomber. Celui-ci est le strict opposé de l’accusé, plus que politiquement, moralement : pas de voiture de sport mais une simple motocyclette, pas de fêtes orgiaques mais de petits restos, pas d’enfumage verbal mais un discours clair et précis, et enfin et surtout pas de valeurs individuelles mais le bien de la société.

Risi, aidé par le scénario parfait d'Age et Scarpelli, récupère le grotesque d'I mostri et le cynisme d'Il sorpasso. Malgré le thème a priori assez lourd, car chargé d’idéologie, In nome del popolo italiano n’est jamais lassant. Au contraire, grâce à la finesse de la mise en scène, au rythme de l’enquête et surtout aux magnifiques dialogues échangés entre un Ugo Tognazzi sobre mais très convaincant et un Vittorio Gassman méconnaissable, car à contre-courant, le film maintient toujours le spectateur dans un vif intérêt.

Marlon_B
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 2 févr. 2023

Critique lue 26 fois

2 j'aime

Marlon_B

Écrit par

Critique lue 26 fois

2

D'autres avis sur Au nom du peuple italien

Au nom du peuple italien
Val_Cancun
9

Juge et Parti

Une pépite du cinéma italien des années 1970, que j'ai découvert dans le cadre plus large de mon initiation à Dino Risi, réalisateur dont je ne connaissais jusque-là que deux-trois titres. Et plus je...

le 27 sept. 2022

7 j'aime

2

Au nom du peuple italien
Teklow13
7

Critique de Au nom du peuple italien par Teklow13

Au nom du peuple italien est une sorte de tournant au sein de ce genre en constante évolution, mais possédant une base commune, qu’est la comédie italienne. A travers la lutte qui va opposer un riche...

le 18 juin 2013

5 j'aime

Au nom du peuple italien
zardoz6704
7

Bien mais lourd...

C'est un film exemplaire, assez typique des années 1970 et de la contestation du capitalisme fasciste. C'est un constat amer et prophétique de l'Italie pré-berlusconienne, et aussi une ode à la...

le 9 févr. 2013

5 j'aime

Du même critique

Call Me by Your Name
Marlon_B
5

Statue grecque bipède

Reconnaissons d'abord le mérite de Luca Guadagnino qui réussit à créer une ambiance - ce qui n'est pas aussi aisé qu'il ne le paraît - faite de nonchalance estivale, de moiteur sensuelle des corps et...

le 17 janv. 2018

30 j'aime

1

Lady Bird
Marlon_B
5

Girly, cheesy mais indie

Comédie romantique de ciné indé, au ton décalé, assez girly, un peu cheesy, pour grands enfants plutôt que pour adultes, bien américaine, séduisante grâce à ses acteurs (Saoirse Ronan est très...

le 18 janv. 2018

26 j'aime

2

Vitalina Varela
Marlon_B
4

Expérimental

Pedro Costa soulève l'éternel débat artistique opposant les précurseurs de la forme pure, esthètes radicaux comme purent l'être à titre d'exemple Mallarmé en poésie, Mondrian en peinture, Schönberg...

le 25 mars 2020

11 j'aime

11