Il est assez palpitant de constater qu'un auteur dont la cinématographie s'appuie surtout sur les principes de l'absurde arrive en seulement quelques longs métrages à composer un ensemble dont les fils tissés entre les films montrent une cohérence sans faille. L'absurde est un double outil pour Quentin Dupieux. D'une part il convoque le rire et d'autre part il lui permet d'interroger la nature même de l'outil cinéma. Dans Au poste, ces deux voies sont convoquées principalement autour du langage parole et du langage cinématographique.


La parole est importante en tant que telle puisque Au poste est un film extrêmement dialogué. L'humour du film passe avant tout par une écriture précise du texte, que ça soit les jeux de mots ("Pouvez-vous garder un œil sur Fugain ?"), les quiproquos, les situations absurdes qui s'étirent (les discours hilarants de Philippe sur l'équerre ou sa situation de policier) ou l'excellent running gag du "c'est pour ça". Cette écriture est particulièrement soutenue par un casting qui semble avoir été choisi surtout pour ses qualités vocales, comme l'accent belge de Poelvoorde ou la voix traînante d'Orelsan.


Mais le langage sur lequel on s'interroge le plus dans Au poste est celui du cinéma. Celui-ci est d'abord questionné comme médium narratif. Au cours de la séquence d'interrogatoire très chapitrée, Fugain doit revenir sur sept va-et-vient (ou allers retours) entre chez lui et l'extérieur. Le cadre de l'enquête de police mène vers une réflexion sur la véracité du témoignage entendu et des images que l'on voit. A l'image de Réalité, précédent film de Dupieux où on ne savait jamais vraiment si on était ou non à l'intérieur du film dans le film, ici on ne sait pas trop si le souvenir est réel ou imaginé. D'ailleurs les protagonistes n'ont pas la même perception que nous de ces narrations puisque l'un a la capacité de voir (le témoin) ce qui est raconté alors que l'autre (le policier qui écoute) ne peut qu'entendre les souvenirs, et que nous spectateurs pouvons profiter des deux modalités audiovisuelles du cinéma.
Le langage du cinéma est aussi interrogé à travers le montage. Suivant la drôle d'idée qu'un personnage racontant son histoire devient conscient qu'il est dans une histoire racontée, il naît un imbroglio temporel. Dans un dialogue au quiproquo amusant, Fugain tente d'expliquer à une femme qu'il va arriver quelque chose à son mari dans le futur, mais que ce futur est déjà passé et irrévocable puisque nous sommes dans un flashback. L'ordre narratif est donc bouleversé puisque l'image du passé devient celle du présent mais aussi celle du futur puisque la peur de ce qui pourrait arriver ensuite à Fugain surgit régulièrement au détour de ses souvenirs racontés.
Ces questionnements portent le film bien au delà de l'aspect scénique qu'il peut avoir avoir au premier abord (deux décors, une galerie de personnages réduites, grande place du dialogue). La petite digression scénaristique finale (que je me cache de révéler) affirme d'ailleurs bien que nous sommes au cinéma, pas au théâtre.


Quentin Dupieux aime la mise en abyme et, à l'image de Rubber et Réalité, Au poste joue à nous faire réfléchir sur le langage du cinéma et notre position de spectateur avec un jeu de miroir dont les réflexions multiples amincissent les frontières entre film et réalité. Quand les lumières de la salle s'éteignent à l'écran, celles de notre salle se rallument comme si elles avaient été actionnées par le même interrupteur. Cette commutation de la réalité, pourquoi va-t-on au cinéma ? C'est pour ça !

yhi
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le 8 juil. 2018

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