Je te vois. Toi. Oui, toi, avec ce regard circonspect et interrogateur. Quelle est donc cette affiche retro qui envahit le métro avec ce duo de rigolos, Benoit Poelvoorde et Grégoire Ludig, l’air penaud ? Qui donc est ce Quentin Dupieux, illustre inconnu dans un hexagone qui se prendra davantage à se poiler devant le dernier Tuches ou le dernier Taxi ? Autant de mystères entourent ce « Au Poste ! » lui-même mystérieux. Mais si tu as ouï quelques bribes de conversation ou lu quelques lignes sur cet artiste aux multiples casquettes, tu sais probablement à quoi t’attendre. En revanche, si son cinéma t’est encore étranger, prépare-toi à vivre un moment tout à fait singulier.
A peine as-tu pu te remettre d’un singulier passage musical, que te voilà donc enfermé dans cette salle obscure. Enfermé, tout comme Fugain, le suspect, et Buron, le commissaire. Dans cet espace affranchi de tout repère spatio-temporel, la logique apparente va petit à petit s’effacer au profit d’une savoureuse absurdité. Peu surprenant de la part de Quentin Dupieux, qui nous a déjà gratifié de plusieurs comédies absurdes, comme celles que j’ai pu découvrir auparavant, Wrong et Réalité. Ici, tout le défi de Au Poste ! est de partir d’une situation banale faisant appel à la logique, pour partir dans une permanente déconstruction du récit, de la réalité et des certitudes.
L’art de Dupieux, c’est de rapidement donner le la, de nous tendre la main, et de nous envoyer aussitôt valdinguer dans le décor pour nous perdre à nouveau… Et c’est ça qu’on aime ! Le suspect raconte avec certitude, le commissaire décortique et remet en question. Les dialogues entre les deux protagonistes sont une représentation du cheminement que prend le film. Tout devrait aller bien, mais il faut que ça parte dans tous les sens. C’est la clé qui permet aux films de Dupieux, Au Poste ! compris, d’attiser notre curiosité et de nous tenir en haleine même si l’on peut s’attendre à ne jamais avoir un dénouement évident et satisfaisant en bout de route. Comme dans Wrong, où l’on espère que Dolph va retrouver son chien, ou comme dans Réalité, où l’on attend de Jason d’enfin capturer ce fameux cri d’horreur valant un Oscar, on espère avoir le fin mot de l’histoire, que ça suive un cheminement logique, comme nous sommes des spectateurs rationnels, c’est pour ça.
Mais non. On opère un virage à angle droit de 80° et on apprécie volontiers ce joyeux fatras cauchemardesque où les souvenirs sont influencés par le présent et les émotions, où l’absurdité prend le dessus, mais toujours de manière judicieuse et, paradoxalement, logique. Sans jamais être trop dans la référence, Au Poste ! emprunte codes de polars et comédies noires françaises classiques comme Buffet Froid, où l’on retrouvait ce même côté décousu la même nudité urbaine d’un quartier de La Défense naissant, voire un Série Noire, avec cette capacité à systématiquement prendre le contre-pied du spectateur. A l’image des précédents films de Quentin Dupieux, Au Poste ! est à la fois hilarant et cauchemardesque, prenant et déroutant, horrifique et désopilant. Je suis sûr que les copains du Figarock pourraient encore aller piocher une myriade d’adjectifs magiques dans leur chapeau.
En tout cas, ce chapeau, on peut le tirer à Quentin Dupieux pour avoir une nouvelle fois été en mesure de nous livrer une comédie absurde prenante, pleine de non-sens mais aussi bourrée de sources de réflexions, dont on est libre de faire ce que l’on veut. Avec ce retour au pays, le cinéaste aux multiples casquettes se permet de se créer une place toute particulière dans la comédie française, à l’heure où l’on ne peut que constater leur pullulement. C’est, très probablement, la comédie dont l’on avait besoin aujourd’hui dans le cinéma français. Avec des comédiens parfaits, une réalisation efficace et la patte de Quentin Dupieux pour l’écriture et le scénario, Au Poste ! est une nouvelle réussite, dont le seul « reproche » que l’on puisse faire à son propos est sa courte durée (1h15). On en veut encore !