Adieu
À vrai dire, je n'avais même pas envie d'écrire sur ce film, qui ne m'intéresse pas outre-mesure. Mais voyant une déferlante de critiques élogieuses, j'ai quand même eu envie d'apporter un...
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le 28 oct. 2017
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Les gueules cassées et les monuments aux morts sont deux des symboles de la Grande Guerre, deux témoignages de ce conflit prodigieux et monstrueux. On dénombre en France plus de 35 000 monuments aux morts, ce qui suffit à donner le vertige sur les chiffres effarants de la grande boucherie. Chacun a déjà vu un monument aux morts car presque chaque commune de France a le sien. Les gueules cassées, quant à elles, ont fait l'objet d'un excellent film sur le sujet : La Chambre des Officiers et les photographies des visages écorchés et déformés hantent encore la mémoire de ceux qui ont ouvert un livre d'histoire. C'est peu dire que ce sont des symboles frappants.
Plus encore l'époque est marquée par la magouille et le combine, deux aspects que l'on retrouve dans les grands conflits où l'Etat et l'ordre social affaiblis laissent la place aux pires sévices et arnaques. On peut penser notamment à Landru, le célèbre serial killer français qui dépouillait des veuves de guerre et les faisait disparaître. Il n'est qu'un exemple parmi d'autres de la réalité décrite dans le film et le livre.
Il ne faut pas oublier la violence : le lieutenant, obsédé par la guerre et qui tue deux de ses soldats d'une balle dans le dos pour déclencher un assaut, le jour même de l'armistice, ce qui fait inexorablement penser à Voyage au bout de la nuit et sa description d'une guerre crapuleuse et imbecile, Albert Dupontel qui se retrouve englouti par la terre contre un cheval mort, qui rappelle La Route des Flandres de Claude Simon.
Le film de Dupontel, qui se nourrit du roman éponyme de Pierre Lemaître, lui-même nourri de ce que nous venons de voir, se rattache aux grandes oeuvres qui ont traité de la Grande Guerre. Il y ajoute une fantaisie, une sorte d'excès de couleurs et d'absurde, comme pour mieux souligner, par derrière, l'amertume doucereuse des Années Folles. Car, au sortir de la guerre, comment Edouard Péricourt, fils d'un riche banquier et défiguré par la guerre peut-il encore revenir à sa vie d'avant ? Et Albert Maillard, ex-comptable au chômage contraint au larcin pour survivre ? Et Pradelle, lieutenant monstrueux incapable de sortir de la bestialité du soldat ? Toutes ces vies écorchées et viciées par la tragédie vont oeuvrer par la suite à arnaquer, voler, tricher, comme pour mieux faire payer des années de souffrance.
On se prend à rire à l'ironie des situations, on se prend à s'émouvoir des multiples visages que s'invente Edouard Péricourt et à la poésie qui jalonne le film. Le film oscille entre la réalité brutale et saissisante de la mort et la douceur suave et mielleuse de la poésie. La gueule cassée devient acteur aux multiples rôles à défaut d'être considérée par le reste de la société. L'humour est grinçant : on rit d'échange de cercueils et de cadavres, on rit de la mutilation même, malgré nous, comme si finalement on pouvait rire de tout.
Mais le film s'oublie parfois un peu dans les méandres de sa narration. Ainsi, il cabotine, sans hésitation, pris dans sa propre fantaisie. Pourtant ses plus grandes forces sont dans sa poésie et dans son drame, souvent évacués pour des intrigues secondaires. La volonté visible de Dupontel de coller à tous les arcs narratifs offerts par le roman l'oblige à l'occultation ou à l'expédition : l'enfance de Péricourt se résume à quelques secondes de scènes en noir et blanc un peu kitsch, notamment la relation père/fils. Idem pour le twist final, qui tombe comme un cheveux sur la soupe faute à une narration plus appuyée. La scène de tranchée, à l'inverse, est absolument remarquable, filmée caméra à l'épaule, caméra qui sinue dans les tranchées en suivant un chien comme un vers dans un boyau étroit et boueux. La scène est en plein jour, sous un soleil diaphane. C'est une scène absurde, violente à l'excès, festival d'explosions et de morbidité. Le film oublie pourtant la guerre qui plane bien après l'armistice : il n'évoque que peu le sort que réserve l'Etat aux mutilés si ce n'est l'oubli, il évacue toute la dimension militante et politique, sur les colonies, sur les responsabilités de chacun. A croire qu'il a peur de ses ambitions ou au contraire de sa pompe. Il n'est pourtant jamais pompeux.
Puis, il aborde la thématique des années folles, dans une seconde partie, qui me fait parfois penser à Jeunet ou à Wes Anderson dans sa fantaisie ou même au roman Gatsby Le Magnifique, avec ces fêtes absurdes au Lutetia. Et là encore, il survole, il montre, mais n'entre pas dans la distanciation. Pourtant les années d'insouciances post-guerre posaient et posent encore question. Le film ne tranche pas vraiment entre sa loufoquerie, sa fantaisie et son sérieux.
Le casting, en revanche, impressionne. Niels Arelstrup dévore la caméra, littéralement, et écrase les autres acteurs. Il continue de m'impressionner tellement il dégage une force peu commune. Laurent Laffite, cruel et cabotin, marque également par ses saillies ironiques et sa sourde violence. Vuillermoz, dans son rôle d'inspecteur incorruptible mais taciturne, est l'un des personnages les plus réussis du film, fantasque, à la Jeunet.
J'ai été ému, j'ai ri, j'ai aimé ce film délicat, fin, intéressant mais je n'en garderais pas un souvenir imperrisable, la faute à une ambiguité permanente dans le propos, entre rires et sérieux. L'exercice d'équilibriste est difficile et Dupontel s'en tire. Restent que les qualités premières du film sont ses qualités littéraires : son histoire, ses thématiques, son contexte, ainsi que son casting. Toute sa puissance il la tire du roman mais c'est aussi un fardeau puisque sa narration est difficile à exposer dans un film de 2 heures. La mise en scène est assez intéressante, notamment dans la scène de tranchée, la plus marquante indéniablement, ou encore des jeux de miroir entre différents éléments, la boue/le sable par exemple, procédés très littéraires, mais rien n'atteint la puissance d'autres grands films sur le conflit car le cynisme, la cruauté sont souvent évacués au profit du bon sentiment et de scènes aux issues prévisibles. La fin est un peu en deça de ce que le film au début annoncait. Un bon film mais avec des défauts d'écriture.
C'est un film sur le masque et l'obus, la comédie et la tragédie, l'apparence et la réalité, la poésie et la violence, une alliance des contraires, qui ne parvient à quitter la tranchée, oscillant entre le rire et les larmes. Un grand mérite : ça donne follement envie de lire le livre.
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Créée
le 26 oct. 2017
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