Le regard très personnel d’Albert Dupontel sur la Grande Guerre

"Pour avoir déclenché la guerre, pour avoir aimé la faire, pour en avoir profité ... vous êtes tous condamnés à mort !"

Au revoir là-haut d'Albert Dupontel aurait facilement pu être un film réalisé par Jean-Pierre Jeunet, si on prend en compte la photographie, les décors, la direction des acteurs et cette petite pointe de fantaisie à la Amélie Poulain. Mais j’ai plus particulièrement pensé à Un Long Dimanche de Fiançailles pendant le visionnage et pas seulement parce que les deux films ont pour point commun d'aborder la première guerre mondiale et aux autres questions d’après-guerre. Et si on se rappelle bien, Albert Dupontel a eu un petit rôle dans le film de JP Jeunet. C'est certains, cette expérience sur le tournage de Jean-Pierre Jeunet l'a forcément inspiré pour réaliser son film.

Et si le travail du bonhomme ne vous est pas étranger, vous connaissez déjà tout son amour pour les Monty Python et plus particulièrement pour Terry Gilliam ... pas étonnant donc d'y retrouver une forte influence du réalisateur frappadingue de Brazil, du Baron Münchausen et de L'armée des 12 Singes.

L’histoire en elle-même, basée sur le lauréat du prix Goncourt de 2013, est plutôt surprenante et pleine de fantaisie. Dans les derniers jours de la Première Guerre mondiale, il se dit que l’armistice est proche, mais il y a encore des commandants qui ont du mal à mettre de côté leurs petits jouets de guerre et continuent de mener des missions absurdes en envoyant des soldats vers la morts (et autres mutilations qui auraient pu être évitées). L’une des dernières victimes de la guerre est le soldat Edouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart), un artiste dont le talent et le style font allusion aux œuvres d’Egon Schiele. Il est gravement blessé et défiguré, sa mâchoire inférieure a été emportée par un éclat d'obus. Ainsi, pour le reste de sa vie il devra porter des masques qui expriment ses humeurs et ses sentiments du moment. Son seul ami et compagnon est un soldat plus âgé, Albert Maillard (joué par Albert Dupontel lui-même).

Ici, il n'y a pas de bons ni de méchants, pas de héros sans peur et sans reproche. Vous avez quand même droit au bad guy de service, un vrai personnage sombre et lourd, magnifiquement joué par Laurent Laffite. C'est un rôle à contre-emploi pour lui, mais alors il est excellent. C'est le rôle d'un ancien officier, impitoyable et répugnant, qui a abattu deux de ses propres hommes et qui gagne de l’argent sur les victimes de la guerre. Les autres personnages sont peut-être meilleurs que lui, mais certainement pas totalement blancs non plus, tous des escrocs, des tricheurs ou des menteurs. Mention spéciale aussi à Niels Arestrup, toujours aussi charismatique, ici dans le rôle de Marcel Périquot, le père d'Edouard. C'est un homme sévère, fatigué, désabusé, mais qui aime profondément son fils. Le personnage incarné par Albert Dupontel lui-même, peut vous donner le vertige de temps en temps, du pur Albert Dupontel dans l'interprétation.

Albert Dupontel a eu beaucoup de chance d'obtenir les pleins pouvoirs pour mener à bien un sujet aussi audacieux. Ici et comme à son habitude, Albert Dupontel fait du Albert Dupontel, devant et derrière la caméra. Pour ceux qui ne connaissent pas son travail, je vous invite à voir ses autres œuvres (Bernie, Le Créateur, Adieu les cons ...). Le bonhomme possède son propre univers et fait des trucs dans son coin, sauf que là il a le budget d'une superproduction française.

Et ça marche. Vous vous sentirez mal à l’aise par moments, probablement parce que l'émotion vous submerge ...

Le passage entre la petite Louise et Édouard, lorsqu'elle voit son visage mutilé, est très émouvant. J'ai vraiment été ému en voyant sa réaction sincère et sans peur, juste la curiosité d'une enfant alors qu'elle balade ses doigts sur son visage mutilé ... j'en avais vraiment les larmes aux yeux.

Ce film est visuellement époustouflant, les costumes, l’époque, la musique ... et pas le moindre faux rythme, c'est vraiment bien exécuté. Et l’histoire elle-même, les émotions, la perte, le deuil, l’injustice, la vengeance, la haine, l’amour ... encore une fois, c'est remarquable. C'est un bon exemple de ce que le cinéma français devrait être, mais qui ne l’est que trop rarement.

Mais voilà, il y a un mais. Albert Dupontel fait son truc et du coup son style prend tout l'écran. La narration visuelle prend le pas sur les personnages. Nombreux sont les personnages sacrifiés au profil de petites fantaisies d'Albert Dupontel. Ainsi, on ne croit pas à l'amitié entre ces deux soldats, l'alchimie n'y est tout simplement pas. De plus, tous les personnages féminins (Émilie Dequenne et Mélanie Thierry) sont des faire-valoir et seul Laurent Laffite (et un peu Niels Arestrup aussi) tient tête face à Albert Dupontel.

Bref, Au revoir là-haut c'est du très bon Albert Dupontel, mais pas sûr que les adorateurs du roman de Pierre Lemaitre soient satisfaits de cette adaptation. Moi j'y trouve mon compte, mais c'est parce que j'adore Albert Dupontel.

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le 27 nov. 2022

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lessthantod

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