La tentation de l'anthropomorphisme

Au Royaume des Singes est la dernière production en date de Disneynature. Ce label, créé en 2008 et basé à Paris, est voué à la production de documentaires consacrés à la nature. Après nous avoir gratifié d'une sympathique resucée "spéciale salles obscures" de l'extraordinaire série de la BBC Planète Terre (Un Jour sur Terre, 2009), Mickey avait enchaîné quelques productions originales sérieuses, plutôt bien documentées et assez réussies. En 2008, l'élégant Les Ailes pourpres nous avait fait partager le quotidien des flamants roses du lac Natron. En 2009, le nuancé Océans nous avait sensibilisé sur la fragile beauté des mers du globe. En 2011, le poétique Pollen nous avait révélé l'enjeu vital qu'est, pour l'avenir de l'humanité, la sauvegarde des fleurs et des insectes pollinisateurs.

Afin de ratisser un public encore plus large, notamment les jeunes enfants, Disneynature s'était ensuite lancé dans la production de documentaires hautement scénarisés, mettant en scène des animaux universellement emblématiques. Ce furent les lions et guépards, ces prédateurs parfaits, dans Félins (2011) ; ce furent nos plus proches parents les chimpanzés dans Chimpanzés (2012), et ce furent enfin ces fascinants ours, les plus grands carnivores terrestres, dans Grizzlis (2014). Au Royaume des singes (2015), qui nous immerge dans la vie quotidienne d'une troupe de macaques à toques dans la jungle du Sri Lanka, s'inscrit pleinement dans cette lignée.

Fort amusantes, les aventures et mésaventures de cette grande famille de petits singes offrent aussi des aspects particulièrement intéressants. On y découvre une structure sociale à la hiérarchie stricte et, en apparence, immuable. À son sommet trônent Raja, le mâle dominant, et ses trois favorites. La caste des privilégiés a le droit à la meilleure nourriture, aux meilleurs abris et à toute l'attention nécessaire, alors que la caste des dominés doit se contenter des miettes et endurer les brimades. Parmi les moins-que-rien, une femelle dénommée Maya et son nouveau-né Kip, fruit d'une minute d'amour volée par le jeune mâle solitaire Kumar, sont les héros improbables du documentaire. De la jungle tropicale recouvrant les ruines de la cité antique de Polonnâruvâ à la jungle urbaine de l'agglomération voisine, la troupe se retrouve confrontée à de menaçant prédateurs, à un clan rival, et à ces étranges humains. En son sein, Maya doit sans cesse lutter pour se nourrir, et fournir ainsi à son nourrisson sa dose de lait maternel.

Voilà pour "l'histoire", qui a le mérite de nous faire découvrir, outre les macaques, d'autres habitants de cette jungle tels que l'ours à collier, le varan, la mangouste, l'écureuil, etc. Tout cela est, évidemment, admirablement filmé. Cependant, Au Royaume des singes a quelque chose d'assez agaçant, en ce sens qu'il reproduit le principal défaut de ses trois prédécesseurs : une narration infantile, complètement à côté de la plaque. À force de "traduire" et commenter en langage humain des expressions et gestes simiesques - qui n'ont si ça se trouve aucun rapport avec l'interprétation qu'elle en donne - Tina Fey (en V.O. - Claire Keim en V.F.) devient rapidement agaçante. Même si le film s'adresse aussi à de jeunes enfants, la tentation de l'anthropomorphisme, à laquelle les auteurs Alastair Fothergill et Mark Linfield (pourtant anciens de la BBC) cèdent allègrement, n'apporte en effet rien de bon au propos. Présenter un singe comme gentil et un autre comme méchant, un varan comme cruel et un ours comme benêt, ça n'a strictement aucun fondement scientifique, et ça n'aide pas les spectateurs à prendre pleinement conscience de ce que sont réellement ces animaux. À trop vouloir scénariser des animaux réels, les documentaires Disneynature finissent par ressembler aux dessins animés classiques dans leur manichéisme simpliste.