« There’s not such thing as the unwritten law »
Le film de procès est un genre à part entière, perclus de code et d’attendus. Extrêmement théâtral, écrit, jeu de pingpong donnant l’avantage à l’un puis l’autre camp, il instaure une tension croissante jusqu’à un verdict qui verra, généralement, le camp qu’on a imposé au spectateur comme le bon l’emporter.
Autopsie d’un meurtre, en plus d’être un chef d’œuvre dans le genre, est audacieux sur bien des points.
Pour ce qui est du film de procès, ses composantes font l’objet d’une maitrise de haut vol : d’une densité phénoménale, il s’offre le luxe d’être dénué de temps mort sur 2h40, réparties en une heure de préparation de procès, et le reste du film en huis clos dans le prétoire. Rivé au travail des avocats de l’accusation et de la défense, le spectateur voit se dérouler toutes les ficelles plus ou moins honnêtes, dans un ballet réglé au millimètre : même la position d’un interrogateur, cachant volontairement la vision du témoin par son avocat, entre dans la stratégie. Toute la préparation du procès réside autour du jargon : quel terme, quelle jurisprudence, quelle nomenclature donner au cas qui nous occupe ? Les mots et la technique oratoire, la manipulation comme autant d’armes fourbies autour d’un nœud inaccessible : la vérité.
Tout semble dès lors placé sous le coup d’une mise en scène. James Stewart, avocat attachant parce que, de son propre aveu, inexpérimenté, sans le sou et de province, semble lui aussi jouer un rôle, ses coups d’éclat faisant l’objet d’objections, certes effacés des transcriptions, mais non de la sensibilité des jurés. L’humour lui-même, qu’on débatte sur l’emploi du terme « slip » ou qu’on convoque un chien pour faire preuve de son dressage, est asservi à la finalité d’une séduction supplémentaire.
En contrepoint de cette tension constante et de cette rigueur au cordeau, quelques incursions d’une vie privée de l’avocat à visage humain : la pêche, un acolyte porté sur la bouteille, une secrétaire impayable dans tous les sens du terme, et au détour d’une soirée, coup de grâce en matière de charme, un duo au piano avec le Duke himself.
Le film serait déjà un modèle du genre si l’on s’arrêtait à ces qualités premières. Mais il atteint des sommets lorsqu’il décide d’allier la solidité de sa construction à la porosité du sujet. Viol et meurtre, certes. Mais, comme le dit Stewart, impossible d’appliquer le manichéisme à l’être humain : les zones d’ombres sont omniprésentes et gangrènent tout portait à partir du moment où on s’en approche. La victime est une allumeuse, un peu trop enjouée même après son agression ; le meurtrier, fabuleux Ben Gazzara, ne se départ pas d’un rictus et d’une nonchalance problématiques. Autour de ces êtres insaisissables, on s’agite, on ergote, on dissèque… L’important est le parcours, le panache, les effets de manche, et non cette vérité de toute façon opaque. On ne peut que penser à La Vérité, de Clouzot, qui sur le même principe propose un regard autrement plus dénonciateur en nous dévoilant l’histoire de l’accusée. Ici, les zones d’ombre, volontairement préservées, ont un double effet assez dévastateur : dans un premier temps, elles valorisent le travail des avocats et leur capacité à faire parler malgré le peu dont ils disposent. Dans un second temps, et le dénouement doux-amer en témoigne, elles disent la fourberie humaine et l’incapacité d’un système, voire d’une morale à composer avec elle.
Il reste alors la foi des hommes rivés à leur tâche, sans trop lever le voile sur les tristes conclusions qu’elle génère sur la nature humaine, et l’échappée, entre gens de bonne volonté, autour d’un verre, enlacés par les mélopées de Duke Ellington.