Après un premier long très remarqué (A l’intérieur) qui faisait dire à toute la critique presse qu’une nouvelle vague du cinéma d’épouvante français était en train de naître (La Horde, Sheitan, Martyrs, Frontières, etc.), le soufflet est malheureusement vite retombé. Non seulement la notoriété médiatique de tous ces réalisateurs les a fait franchir les frontières (faute de travail en France) mais en plus les nouvelles attentes n’ont pas été atteintes avec le deuxième film de Alexandre Bustillo et Julien Maury, deux fous furieux du cinéma d’épouvante. Livide était un film fantastique bancal, brouillon, confus comprenant néanmoins quelques idées. C’est avec de très grosses difficultés qu’ils ont monté ce troisième projet, véritable cri du cœur pour un genre qu’ils affectionnent, au point que le crowdfunding se faisait indispensable pour finaliser la pellicule. Un projet monté par des fans pour des fans, et c’est dommage car Aux Yeux des Vivants a d’excellentes qualités pour les amateurs mais souffre encore trop de nombreux défauts d’écriture.

Diffusé dans une vingtaine de salles dans tout l’hexagone, on peut dire que la distribution du film fût catastrophique sans compter qu’il est arrivé une semaine avant un petit film d’horreur américain -The Baby- qui l'a largement surpassé sur le nombre d'entrées. Une vraie déception. Je choisis l’angle de défendre le film face à l’ogre américain mais il faut reconnaître que Aux Yeux des Vivants n’est pas dénué de défauts, et au contraire on ressort de la salle avec un avis plus que mitigé. Dès les premiers instants, le film pêche par ses dialogues d’une logique affligeante, impensable et de discussions profondément clichées entre gamins mi-ruraux, mi-urbains. Les interprétations des jeunes acteurs semblent tellement récitées. Difficile de ressentir une quelconque empathie à leur égard, quand leurs conversations s’évertuent à parler des vagins de la mère des autres. Côté adulte, Anne Marivin est finalement celle qui s’en sort le mieux, jouant une mère aussi aimante que fragile et les fans des deux réals retrouveront avec intérêt Béatrice Dalle dans un très bref rôle. A noter quelques problèmes au niveau du mixage sonore (voix inaudibles, bruitages manquants, etc.) qui souligne un gros travail bâclé en fin de post-production. Le récit a le mérite de reposer sur plusieurs genres mais de manière très inégale. Aux Yeux des Vivants est à la croisée du slasher classique, du home invasion bancal, et du conte horrifique cependant réussi. Car il y a des idées, il y a quelques fulgurances dans le scénario sublimé par une mise en scène -que j’évoquerais plus en détails plus tard- mais dont la trame tombe trop souvent dans la caricature, la facilité et la gratuité évidente. Difficile de parler de second degré quand on montre une baby-sitter sein nu tandis qu’on coupe au montage une éventuelle scène de sexe entre Anne Marivin et son compagnon. Non pas que voir du sexe m’ait manqué, mais il faut se donner les moyens d’aller au bout des choses, sachant que les réalisateurs ont dû avoir une énorme marge de manœuvre, la majorité du financement venant de la relation de confiance des donateurs du crowdfunding. Difficile alors de mettre cela sur le compte d'une pression des producteurs.

De fait, le film part avec de très nombreuses lacunes, mais heureusement que les deux compères savent manier une caméra et quelques projecteurs. Car Aux Yeux des Vivants proposent des plans splendides, et cette symbolique divine autour du « mutant » fait preuve d’une maîtrise formelle imparable. Je retiendrais ce plan où l’on voit ce mutant recouvert d’une Parka à la Urban Legend devant une fenêtre illuminée de plein soleil. Grandiose ! D’autres plans très stylistiques se rajoutent dans la mise en scène et les nombreux travellings sont brefs mais incontestablement réussis. De même, les réalisateurs ont déniché de très bons décors comme ce studio de cinéma abandonné en Bulgarie qui donne toute la force et l’ampleur du slasher à ce petit film fauché français. Il y a une volonté de vraiment bien faire et de saluer ses références. Alexandre Bustillo et Julien Maury n’ont jamais caché leur amour du slasher et surtout du giallo, qui éclate littéralement l’écran avec un plan que n’aurait pas renié Dario Argento. La maîtrise technique du film est véritablement à souligner car elle est la principale qualité du long métrage, même si il est relativement frustrant que les deux réalisateurs n’osent pas montrer des meurtres d’enfants, préférant jouer la sûreté et le hors-champ. Un cruel manque d’audace pour des transitions qui apparaissent comme très ringardes aujourd’hui (flashs blancs). Mais on ne fera pas la fine bouche sur l’effroi que peut provoquer le film, car il faut reconnaître que les bonhommes savent faire monter la tension à de très bons moments, notamment dans une troisième partie extrêmement intense, celle du home-invasion. Et puis ce « mutant », un vrai monstre de cinéma, certes encore loin derrière les ténors du genre que sont Leatherface, Jason ou Freddy mais un physique atypique, aussi fascinant que répugnant. L’aura divine qui l’entoure est un vrai tour de force dans l’intrigue et rend la trame plus poussée que ce qu’on aurait pu croire au début du film. Quelques symboliques lourdes sur les couleurs ponctuent le film, ou cette image rabâchée du conte de Perrault, d’une jeune fille au veston rouge poursuivie par un homme caché derrière sa capuche de parka. La fin s’avère en ce sens d’une simplicité assez déconcertante, et à de très nombreuses reprises dans le film, mais elle n’éclipse pas les bonnes intentions de départ.

Difficile de sauver la notoriété de ce film tant il manque d’ambition, de travail d’écriture, de psychologie et le manque de diffusion dans nos salles témoignent d’un manque total de confiance dans le cinéma de genre en France. Mais d’un point de vue purement personnel, j’ai envie de sauver ce film sur quelques points et notamment sa mise en scène très fluide, très pensée, très évocatrice, et sur ce cinéma ultra-référencé qui fera plaisir aux néophytes. Quoiqu’il en soit, on sort de la salle avec beaucoup de regrets et encore plus car le film apparaissait comme l’espoir de la dernière chance pour le cinéma de genre français et je doute que Alexandre Bustillo et Julien Maury puissent monter rapidement un projet en France. Au final, on retrouvera ces deux réalisateurs sur deux projets internationaux, les suites des honnêtes films à sketchs ABC’s of Death et Theatre Bizarre. On leur souhaite un bon rebondissement dans le milieu, en espérant qu’ils aient les moyens de montrer la véritable étendue de leur talent, et de laisser le travail d’écriture à d’autres. Pour une fois, seuls les américains semblent faire confiance à nos frenchys, les dernières rumeurs annonçant que le tandem du film serait dans la wishlist des producteurs hollywoodiens pour le préquel sur Leatherface. On ne peut donc qu'espérer les voir suivre les traces d'Alexandre Aja.
Softon
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le 6 mai 2014

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Kévin List

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