Forme > Fond
Comme c'est drôle. La France vit, cette semaine, sous une canicule écrasante. Et voilà que je m'enferme dans un cinéma climatisé pour voir ce que je considérais de prime abord comme mon nouveau La...
le 21 juin 2017
17 j'aime
6
Le film s'ouvre par une scène de plage, écrasée par le soleil et la langueur. Au milieu des estivants paresseux et des enfants turbulents, un chien-loup, noir comme la nuit, rôde dans l'indifférence générale, avant de venir dévorer les frites d'une jeune fille endormie, comme mû par une attraction magique. Cette belle introduction, l'air de rien, illustre bien le conflit créateur au coeur d'Ava, film constamment secoué par la rencontre entre un doux naturalisme et la recherche du fantastique. Tout va ici de pair : mauvais présage et annonce d'un désastre à venir (la jeune fille va progressivement perdre la vue), le chien sert aussi de révélateur, d'agent chimique au contact duquel réagit le corps étrange (surtout à elle-même) d'Ava. C'est la belle idée de Léa Mysius que de faire incarner son personnage de 13 ans par la néophyte mais rayonnante Noée Abita, beaucoup plus âgée ; cette incongruité physique raconte mieux le malaise de l'héroïne que les multiples pistes métaphoriques lancées dans une première partie surchargée, parfois inspirée, souvent maladroite.
La cécité à venir fait glisser l'univers d'Ava dans une douce apocalypse : c'est autant la peur de ne plus plus voir que la peur de l'âge adulte qui terrifie - double tragédie pour cette infante qui veut déjà mourir parce qu'elle sent bien que la vie promet plus qu'elle ne donne. Dans ses yeux mutins mais naïfs, une menace sourde plane sur le monde, à l'image des policiers transformés par l’imaginaire en Nazgûls, monstruosités du Seigneur des Anneaux. A cette loi martiale de l'état d'urgence, Ava oppose la loi du désir : la véritable urgence est de saisir, tant qu'il est encore temps, les derniers rayons d'un soleil brûlant et d'y consumer toute sa jeunesse. Le film fait rimer cet impératif guerrier avec une photographie crépusculaire, presque calcinée, jaune, bleu et mélancolie des derniers étés magnifiquement emmêlés.
Comme dans le dernier court-métrage de Léa Mysius, L'Île Jaune, il s'agit de perdre pied en laissant s'en aller, tout doucement ou dans une rupture totale, le territoire de l'enfance : la fugue avec un garçon, lui-même exilé, amène les séquences les plus libératrices, pleine d'amour fou et de fuite en avant, quelque part entre Bonnie & Clyde et Pierrot le Fou.
Dans un monde devenu incertain, la perte des repères visibles, la fin des phénomènes certains annoncent l'émergence d'un nouveau continent, règne du toucher, du goût, confiance aveugle et absolue dans une sensualité primaire.
Avec ce premier long-métrage imparfait mais foudroyant, Léa Mysius - déjà remarquée pour ses courts et co-scénariste du dernier film d'Arnaud Desplechin (Les Fantômes d'Ismaël ) - dévoile un cinéma vitaliste et solaire, qui raccorde à merveille avec tout un pan du cinéma français ( l'Inconnu du Lac, Ce sentiment de l'été, Vincent n'a pas d'écailles...).
Quant à Noée Abita, son entrée fracassante sur grand écran n'est pas sans rappeler celle d'une autre fulgurance cannoise, Adèle Exarchopoulos - même puissance fragile, même trouble sensuel, même regard frondeur qui semble clamer haut et fort : "Mes jours sont plus beaux que vos nuits".
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Cannes 17'
Créée
le 31 mai 2017
Critique lue 1.5K fois
8 j'aime
D'autres avis sur Ava
Comme c'est drôle. La France vit, cette semaine, sous une canicule écrasante. Et voilà que je m'enferme dans un cinéma climatisé pour voir ce que je considérais de prime abord comme mon nouveau La...
le 21 juin 2017
17 j'aime
6
Cette critique et plein d'autres sont disponibles sur https://www.epistemofilms.fr/ avec des photographies. Cette micro-proposition est susceptible de heurter la sensibilité des personnes n'ayant...
Par
le 19 avr. 2019
15 j'aime
Avec un générique sans musique ni images, Ava donne le ton : il sera un film aride. Le montage est très cut, les scènes s’étirent en longueur sans que rien ne s’y passe, et certaines d’entre elles...
Par
le 24 juin 2017
15 j'aime
9
Du même critique
La Prisonnière, passant du livre à la pellicule, est devenue Captive. Et si certains films étouffent de leur héritage littéraire, Chantal Akerman a su restituer et utiliser la puissance évocatrice...
Par
le 18 mai 2015
19 j'aime
1
Entre les rames, quelque chose se trame. La marche semble aléatoire, la démarche beaucoup moins : en silence, des jeunes s’infiltrent dans le métro parisien, déambulent le visage grave et décidé, ...
Par
le 16 juil. 2016
18 j'aime
2
Après le paradis consumériste d’Andorre (2013) et les tours jumelles de Mercuriales (2014), la caméra de Virgile Vernier scrute un nouveau front pionnier, Sophia Antipolis, technopole en forme...
Par
le 6 nov. 2018
17 j'aime
2