La Prisonnière, passant du livre à la pellicule, est devenue Captive. Et si certains films étouffent de leur héritage littéraire, Chantal Akerman a su restituer et utiliser la puissance évocatrice comme la beauté formelle de sa matrice.
Proust hante évidemment l'ensemble du film, mais sait s'y faire discret, laissant à Akerman et au cinéma les potentialités de la réécriture, comme le prouve la très belle ouverture : Simon se projette tel un souvenir un film de vacances, images déjà mélancoliques de jeunes filles en fleur, isolant finalement dans le cadre l'objet de son désir et de ses soucis - Ariane (et Aimée). Il y inscrit alors son ombre, préfigurant son attrait, son malheur, son obsession.
Car s'il y a en effet une femme captive d'un appartement trop grand, d'une langueur quotidienne, de plaisirs encalminés et surtout d'un amour hypertrophié, le vrai prisonnier reste Simon, désespéré à l'idée de ne jamais saisir complètement le corps ou l'âme, de ne pouvoir comprendre les rapports d'Ariane et d'Aimée, de n'être jamais sûr, de toujours douter. C'est cette frustration toute masculine que filme Akerman, cette incompréhension devant l'éternel mystère féminin, auquel la suspicion saphique donne un sentiment de légitimité, personnalise une jalousie sans objet.
Parce qu'il envie le monde qui a droit sur chaque seconde de la vie d'Ariane, Simon tente d'abord de restreindre le monde de l'être aimé (il la suit, la fait constamment accompagner d'Aimée, l'interroge sur toutes ses activités) puis procède à son enlèvement , à sa pure soustraction physique pour n'en faire qu'un objet de son regard, une possession théorique.
Avec des séquences pourtant très simples, Akerman met en scène une grande idée : Simon étend le domaine de sa recherche, interrogeant un couple lesbien, prospectant chez les horizontales ; il universalise les figures qui l'obsèdent pour résoudre le mystère particulier qui le ronge. Se faisant, il érige lui-même la vitre infranchissable qui le sépare d'Ariane et à travers laquelle, comme dans la salle de bains, il la regarde, la respire, la vide d'elle-même, ne lui laissant plus qu'un choix unique, la séparation et le retour au monde étant constitutifs d'un même mouvement tragique.