Sac de nœud ou éclair de génie ?
Mamoru Oshii livre ici un film très personnel, qui, mêlant des idées et des références en provenance de Ghost in the Shell à la légende arthurienne, décrit une société en pleine déliquescence où la seule échappatoire semble être la technologie.
Surtout, le réalisateur crée une ambiance extrêmement particulière reposant sur un rythme lent, contemplatif, ainsi que sur une photographie et une musique originales.
Plus encore, si Avalon a souvent été comparé à Matrix, ce dernier interrogeant lui aussi le rapport à la réalité, les frères Wachowski contournent la confusion réel/virtuel (et ont une nette tendance à mâcher le travail pour le spectateur dans le 2 et le 3) tandis que Mamoru Oshii, au contraire, l'épouse afin de mieux y immerger (noyer ?) le spectateur.
Pour commencer, on se retrouve avec pas mal de références, assumées par l'auteur, d'abord à la légende arthurienne - qui permet d'encadrer le récit et d'en donner une clé de compréhension. En effet, les plus grands joueurs du jeu Avalon courent après leur saint-Graal : la classe "spécial A" qui est, en quelque sorte, le niveau final, niveau final dont personne n'est jamais revenu. Ce dernier point donne lieu à un grand nombre d'interprétations (en ne revenant pas au monde dit réel, le joueur choisit "sa" réalité ; le joueur s'évade d'un monde déshumanisé en faisant totalement corps avec le virtuel ...), mais, si l'on se réfère à certaines versions de la légende, Avalon n'est pas seulement le lieu où les neuf sœurs emmenèrent le Roi Arthur après qu'il ait été blessé lors de la bataille de Camlann mais constitue aussi une sorte de pays des morts : l'analogie avec le joueur qui s'abandonne à son désir de finir le jeu au risque de s'y perdre est donc loin d'être anodine, l'obtention de son Graal ne débouchant finalement que sur la mort ! Ensuite, on a diverses références explicites à Ghost in the Shell dont la plus visible, outre la description d'un monde réel froid et déshumanisé, est la présence d'un basset aux côtés de Ash (un basset était également l'animal de compagnie de Batou dans Ghost in the Shell), basset qui permet au réalisateur d'humaniser quelque peu son personnage principal.
Mamoru Oshii brise un certain nombre de codes cinématographiques : il n'y a pas de réel début, milieu ou fin. Alors que d'ordinaire chaque scène "choisit" une voie parmi un champ de possible, ici le réalisateur a semblé vouloir ouvrir de nouvelles possibilités à chaque plan, ce avec un succès mitigé. En réalité, Avalon suit une progression caractéristique de celle d'un jeu vidéo (avec différents niveaux, des boss ..), ce qui tend parfois à le rapprocher davantage d'un animé que d'un film classique.
Mamoru Oshii s'est aussi décidé pour un tempo méditatif mis en valeur par une belle sobriété, qui se remarque notamment au niveau des rares dialogues. Ces derniers ne jouent qu'un faible rôle dans la progression de l'intrigue, cette progression se fait davantage au moyen de l'image et du son. Tout cela ne peut que rappeler Stalker, de Tarkovski, où le récit très contemplatif encourage lui aussi le spectateur à la réflexion. Je pense qu'il s'agit d'une des sources d'inspiration du réalisateur, notamment parce qu'on retrouve un travail similaire sur l'image dans Avalon : la photographie dans la première moitié du film est traitée d'une manière volontairement désuète avec des images majoritairement en noir et blanc / sépia, puis on en revient à un traitement plus standard en couleurs, ce qui contribue à déstabiliser un peu plus le spectateur. Le réalisateur parvient même à insuffler dans des scènes de guerre une forme de poésie pour le moins inattendue.
Quant à la bande-son, elle se divise entre musiques symphonique et électronique. Dans la première partie du film, la musique symphonique semble associée au monde dit réel tandis que la musique électro renvoie plutôt aux scènes de jeu (qui sont d'ailleurs relativement peu nombreuses). La seconde partie de Avalon ne semble plus établir cette distinction, ce qui ouvre, encore une fois, la voie à diverses interprétations ...
Toutefois, est-ce qu'une bonne technique et de bonnes idées suffisent à faire un bon film ?
Au bout du compte, je suis mitigé. Le travail réalisé par Mamoru Oshii est certes original, mais, tout comme Stalker peut être perçu comme une branlette intellectuelle par certaines personnes tandis que d'autres vont le percevoir comme un chef d'oeuvre, Avalon est autant porté aux nues que jeté dans une basse fosse. Et il faut reconnaître que si de nombreux passages sont très réussis, d'autres sont excessivement lents et m'ont même paru, à l'occasion, inutiles. D'autre part, Mamoru Oshii n'a pas réussi à ré-exploiter ses trouvailles dans ses films suivants, dont la qualité globale semble, d'ailleurs, avoir fortement diminué ...
A mon avis, un thème aussi porteur méritait un meilleur traitement, peut-être plus clair et moins embrouillé.