Il suffit peut-être de ne plus rien attendre d’une franchise pour lui donner l’occasion de nous prendre par surprise. Alors que le MCU croule sous son propre poids, hésitant entre la machine cyclique et paresseuse à cash, l’auto-parodie cynique (Thor Ragnarok) et une montée de sève vivifiante (Black Panther), la question des Avengers fait presque figure de gestion d’un EHPAD. A-t-on vraiment envie de revoir la bande qui a fait son temps, et disséminé dans toutes les excroissance ses petites vannes et aptitudes jusqu’à plus soif ?
La réponse est non, et c’est précisément sur ce postulat que les scénaristes ont commencé à bosser. Parce que force est de reconnaitre que pour cet opus, la sueur dans l’écriture se voit à l’écran : gérer la mise à mal des éléments historiques, intégrer les nouveaux venus, faire converger les arcs et proposer de quoi surprendre n’était pas un mince défi.
Les missions sont presque toutes remplies. Passons sur les trois premiers quarts d’heure, assez laborieux, et dans lequel l’ennui menace face à ces verbiages (coutumiers), ces rencontres en fausses engueulades entre les diverses factions (Dr Strange contre Stark, Thor puis Stark contre les Gardiens, etc…) et cette exposition sans saveur d’un méchant et d’artefacts qu’on connait déjà. Les dialogues sont souvent laborieux, la sauce peine à prendre, notamment dans l’humour assez pathétique de Spider Man et de ses références à la pop culture qui semble vouloir singer le terrain marketing de Ready Player One.
Avengers prend son temps, et, surtout, insiste volontairement sur le malaise généralisé à vouloir réactiver une franchise mal en point : les héros sont fatigués, leurs pouvoirs leurs sont confisqués (Hulk refuse de surgir de Banner, Thor n’a plus de marteau et Captain de bouclier…) et la concorde est en berne.
En résulte un récit éclaté, très cosmique, et qui gère avec brio le principe des alternances pour vivifier une structure si lourde : l’humour des Gardiens s’intègre ainsi assez bien à l’ensemble, et c’est toujours un plaisir de voir le regard des marmots s’illuminer à l’arrivée de ces pitres cosmiques.
La façon dont Thor réactive le réacteur pour sa nouvelle arme peut ainsi se voir comme le symbole de tout cet opus : dans la douleur, relancer la machine. Et de douleur, il sera question : Infinity War est un film sur le sacrifice, jusqu’à certaines redondances dans les couples exigeant que l’autre l’exécute pour le bien commun. Cette mise à mal des héros leur donne non seulement chair, car on ne supportait plus cette morgue frimeuse à l’humour vaseux, mais permet aussi de donner enfin de l’importance au grand méchant, Thanos, qui est enfin un réel personnage principal. Certes, ses motivations sont éventées (un génocide bienveillant pour le monde, une scie qu’on nous avait déjà servie notamment dans le très mauvais Inferno), mais sa présence constante, son rapport à sa quête et son désir presque didactique de justification permettent une incarnation qui dépasse les traditionnels rires machiavéliques sur orchestre symphonique.
Autant de précautions prises pour que l’alchimie prenne : Infinity War, sur une trame finalement assez éculée, parvient à générer un véritable élan, une dynamique qui explose dans tous les sens du terme dans sa dernière heure. Le Wakanda devient ainsi le terrain de jeu épique d’un véritable grand spectacle assez jubilatoire, dans lequel la surenchère est le moteur du plaisir : il n’est pas interdit d’accueillir par de grands éclats de rire la machinerie infernale des méchants ou Thor next gen pour un massacre généralisé punchy et grandiloquent.
La malice vient du côté paradoxalement assez désespéré de toute cette entreprise : on craint, et l’on souhaite en même temps la victoire de Thanos, qui semble défaillir à plusieurs reprises, ce qui, à chaque fois, provoquerait la déception du spectateur. Le nombre de morts réels ajouté à la disparition de la moitié des effectifs, la victoire en somme inattendue de la quête de l’ennemi est une double réussite : parce qu’on n’a pas délayé un scénar attendu en deux volets, et parce qu’on a (un peu) déjoué les pronostics.
La fin suspendue, étonnamment calme de ce plan du Dieu contemplateur de son œuvre est en cela une très belle provocation, qui relance l’intérêt qu’on aura pour la suite.
Dans les franchises, deux types de fin existent : la plupart du temps, c’est un épuisement, qui laisse lessivés des personnages et des intrigues n’ayant plus rien à dire ; mais lorsqu’on décide d’écrire un épilogue et d’en assumer les enjeux, la grandeur peut surgir. Logan, récemment, en témoignait. Même s’il est à craindre qu’un grand lot de résurrections soit en programme (en témoignent les prochains Gardiens ou Spiderman au programme...), espérons que le prochain Avengers saura continuer dans cette funeste et revigorante direction.