Une démarche documentaire aussi simple qu'efficace, qui part des conséquences désastreuses d'un médicament (la thalidomide) prescrit dans les années 60 aux femmes enceintes de République Fédérale Allemande, mais dont l'objet n'est pas du tout lié au médicament. Herzog "profite" de cette situation pour s'intéresser aux enfants souffrant de dégénérescences des bras et des jambes et pour étudier leur place dans la société. On peut y voir une sorte de réponse apaisée au film dérangeant qui précédait, "Les Nains aussi ont commencé petits", mettant aussi en scène des êtres "anormaux"...
L'angle par lequel le handicap est abordé est intéressant (même si c'est un sujet bien connu aujourd'hui) : il semblerait que ce soit le regard des autres et le poids de la société qui nuisent à l'épanouissement de ces enfants, plutôt que leurs malformations. On comprend que ce qui intéresse Herzog, c'est non pas le corps mais l'existence vue comme une prison, quel que soit le corps. Le rapport des handicapés à la société, l'intégration difficile mais pas impossible, le rejet qu'ils subissent : la solution a cette situation semble être loin de toute forme d'apitoiement et de condescendance, comme l'indique une institutrice. Il y a aussi quelques moments de grâce dans les "interviews", notamment via les autoportraits de certains enfants, systématiquement dessinés hors du cadre, isolés dans un coin, ou derrière des barreaux, preuve d'une haute conscience de leur condition. Et cette enfant qui dit qu'elle rêve beaucoup, surtout éveillée, avec les yeux ouverts...
Vient ensuite cet aparté en Californie, avec l'exemple d'un handicapé ouest-allemand devenu professeur à l'université, ne montrant aucun problème d'intégration. L'image positive des États-Unis ainsi renvoyée est intéressante parce qu'elle sert de questionnement à la société et à la politique allemandes d'alors, mais aussi parce qu'elle traduit un certain état d'esprit, dans l'Allemagne de l'Ouest des années 70. Une touche d'espoir rapidement pondérée par une courte remarque assez lucide (on est en 1971) sur le rêve américain et sur les possibles travers d'un tel modèle fondé sur le self achievement.
Un documentaire simple, au regard singulier et à la démarche bien menée, qui part des limites du corps, visibles, pour sonder les limites dressées par la société, moins évidentes mais plus handicapantes sous certains aspects.
(Avis brut #50)