Cristal du long métrage au festival d’Annecy 2015 (devançant de fait, « Mune », « Miss Hokusai » et « Adama ») « Avril et le monde truqué » est mon film d’animation préféré cette année, pourtant très riche en productions. De son apparente humilité, il révèle en fait des trésors, intelligence de l’hommage, causticité et richesse visuelle, univers onirique novateur, sens du rythme et de l’aventure, empreinte populaire… Il a tout pour séduire un large public, amateurs de BD (Tardy entre autre mais pas que), d’un certain cinéma « rocambolesque » des années 20/30, d’imaginaire débridé ou tout semble possible (l’ombre de Jules Verne plane savoureusement dans cet univers).
Tout commence par un générique qui est à lui seul une invitation à la rêverie. Les noms de l’équipe s’incrustent un peu partout dans les éléments de décor d’un laboratoire, sur fond musical menaçant. Fluide et captivant, il n’a rien à envier à ceux de Tim Burton. Cette mise en bouche est de bon augure pour la suite.
Le scénario à lui seul est une trouvaille. Deux évènements mystérieux vont quelque peu bouleverser le cours de l’histoire, entre Napoléon 3 qui meurt le 18 juillet 1870, veille de la guerre franco-allemande et la disparition des savants les plus imminents vont bloquer technologiquement l’Europe à l’ère du tout charbon. Même si bien sur, il en fut tout autrement, cela est crédible, puisque Louis Bonaparte, le prince héritier était plus social que vraiment belligérant, et que l’ensemble des découvertes essentielles mécaniques ont été effectuées entre la fin du 19ème siècle et les années 30.
Et c’est justement dans cette société où domine le charbon que tout se joue. Avec une véritable causticité visuelle les deux réalisateurs, aidés de Tardy bien évidemment, imaginent un univers poisseux de suie, où le minéral surplombe la ville de Paris à l’image de l’immense statue de Napoléon édifiée sur la Place du Tertre. « Avril et le monde truqué c’est avant tout cela. Un monde récréé dans le moindre détail, des créations étonnantes (l’idée du Paris Berlin relié par câble pour 82 heures de voyage par exemple) l’architecture (avec le statuaire, Napoléon déjà évoqué, mais aussi Buffalo Bill en lieu et place de la statue de la Liberté à New York, le Funiculaire…) jusque dans les mentalités très fin 19ème alors que l’action se passe principalement entre 1931 et 1941.
Si le tout est graphiquement formidable, nimbé d’intelligence, truffé de références, le film apporte un éclairage beaucoup plus contemporain qu’il n’y paraît, par son message écologique (que devient le monde quand sa 1ère ressource naturelle est épuisée ?), mais également social, voire politique (la guerre comme seule solution au progrès).
Le seul bémol tient parfois à un humour un peu déplacé par sa facilité. Mais globalement, on sourie et rie parfois devant tant de facéties. Le personnage de Darwin le chat y contribue largement, il est l’élément clé du récit. Philippe Katerine lui prête génialement sa voix. Et le reste de l’interprétation est d’ailleurs bien trouvé, Cotillard la gouailleuse, Grondin le mutin, Rochefort le papi qui aurait pu être le frère de Tournesol, Bouli Lanners en flic ronchon ou encore Olivier Gourmet à la voix s apaisante. C’est un florilège d’excellents acteurs qui donnent vie à ce petit monde !
On ressent très fort la passion que l’équipe portait au projet, chacun à son niveau s’y est impliqué, pour un résultat qui est tout sauf truqué, au contraire, le film, qui était quand même un vrai challenge, est une réussite accomplie.