Auréolé du Cristal du long métrage à Annecy l'an passé, Avril et le monde truqué propose une autre vision de l'animation, à l'opposé des bulldozers étasuniens, trop souvent surproduits, sur vendus et sous écrits. Se déroulant dans une uchronie sous l'impulsion de Jacques Tardi, le film empreinte au dessinateur son univers unique et sa poésie à la vapeur. Dirigé à quatre mains par le duo Ekinci et Desmares, le métrage met en scène une belle parade de personnages, tous savoureusement mis en voix par un casting de choix.
Les premières minutes rassurent. Et il n'en fallait pas moins quand on reste sur un traumatisme de l'ampleur des Aventures d'Adèle Blanc-Sec mis en terre par le fossoyeur Besson. La patte de Tardi laisse une empreinte immédiate et reste tatouée sur la rétine durant l'heure quarante-cinq. Le prologue annonce les fondations de cette uchronie où les empereurs se succèdent sur fond de guerre au charbon. Houille, houille, houille ! C'est à Paris que l'intrigue se concentre sur la famille Franklin et plus particulièrement sur la petite dernière, Avril. On suit alors sa quête, autant initiatique, familiale que scientifique, aidée en cela par Darwin, son chat bavard et flegmatique, Julius, un jeune gredin aux petites mains et au grand cœur et de Pops, son grand-père monté sur ressort à qui Jean Rochefort prête son timbre délicieux.
Si l'intrigue élaborée par Ekinci et Desmares ne sort que rarement des sentiers balisés, c'est surtout aux dialogues pétillants et au renouvellement constant des détails de ce monde généreux que l'on doit l'absence d'ennui. En avril, ne te découvre pas d'un fil, pourtant ici, les grosses ficelles tissent une trame plutôt convenue. Que se soit dans la structure linéaire du récit, les rebondissements prévisibles et ou le manque d'ambition narrative, on sent que l'aspect créatif du film s'est laissé étouffer par la dimension graphique. Le film fait l'économie d'un vrai message, d'un second niveau de lecture. Pourtant, l'uchronie proposée appelait de belles promesses qui, jusqu'au final, ne cesseront d’étinceler pour finalement s'éteindre dans un crépitement timide. Malgré l'étonnement que procure le film et ce plaisir tout enfantin de suivre les péripéties d'Avril, on ne peut s’empêcher d'être frustré devant cette nième histoire de déviants qui veulent détruire le monde.
Plus que la technique, parfois hasardeuse, c'est bien dans sa direction artistique que l’œuvre enivre. L'imagination comme outil de précision. Si l'animation traditionnelle peine parfois dans les scènes d'action, on ne peut émettre aucun reproche sur les décors somptueux ou les incrustation en cgi. Si la narration peut manquer de rythme et de climax, il n'en est rien de l'identité graphique qui atomise certains contemporains paresseux. Il est rassurant de voir des films comme Avril, possesseur d'une âme et façonné par des artisans. Un travail étalé sur sept années, porté par des passionnés conscients de leurs limites. Si le résultat peu décevoir sur certains aspects, on ne peut lui reprocher d'être truqué.