- Dans la France de Napoléon V, Avril Franklin vit seule avec son chat (qui parle ! ) Darwin depuis que ses parents ont disparu dans une étrange tempête magnétique à bord du paquebot téléphérique reliant Paris et Berlin. Passionnée de sciences, elle cherche à mettre au point un sérum d'invulnérabilité qui lui permettrait de sauver Darwin, gravement malade à cause de la pollution de l'air.
Uchronie steampunk, Avril et le monde truqué nous plonge dans un univers créé par Jacques Tardi et dont nous retrouvons l'aspect graphique si reconnaissable (un jour, promis, je vous parlerai de mon amour pour Nestor Burma et en particulier les adaptations bullées du monsieur pré-cité). Visuellement très réussi, l'ambiance parisienne-fin XIXème siècle et les divers éléments rétro-futuristes (le dirigeable, les deux Tour Eiffel, le téléphérique, la statue...) sont particulièrement plaisants.
Son postulat, comme ont pu le noter les plus attentifs d'entre vous, ou du moins ceux au courant que la France de 1941 n'était pas gouvernée par Napoléon V, est de nous placer dans un passé alternatif ayant pour point pivot le décès accidentel de Napoléon III en 1870. Suite à cette mort, la France n'est pas entrée en guerre contre la Prusse, les nazis n'ont jamais existé, et, si on était au pays des jouets, tout irait pour le mieux. Sauf que, dans notre monde truqué, les plus grands savants disparaissent depuis 1870 les uns après les autres. Cela a pour effet que le monde, ne connaissant pas nombre d'inventions et progrès technologique, est resté bloqué à l'ère du charbon (et de la vapeur).
A mon sens, l'intérêt principal du film est le monde dans lequel il se situe : ici, le parti-pris de créer un univers steampunk n'est en effet pas qu'un choix esthétique (même si je suis loin de le bouder). En effet, si le monde n'a pas connu l'émergence du nazisme, ce n'est pas pour autant que l'Humanité vit en paix : la guerre qui y est décrite est due à l'épuisement des ressources naturelles, question terriblement actuelle et dont l'on sait qu'elle risque, dans notre futur non truqué, de déclencher de plus en plus de conflits entre nations.
De plus, cet univers d'acier et de vapeur nous présente un désastre écologique auquel personne ne semble porter attention : l'un des derniers chênes est exposé sous une verrière mais le public ne semble pas s'en préoccuper, le laissant entouré de bancs vides. Les autorités, quant à elles, semblent plus obsédées par l'idée de mettre la main sur les savants non-disparus dans une optique belliqueuse qu'à changer leur manière de produire et consommer les ressources.
Un des questionnements sous-jacent au film est celui de la science et du progrès. Sans entrer dans les détails de l'histoire, pour ne pas vous la dévoiler, l'une des idées mises en avant est que la science n'est ni positive ni négative en elle-même. Les savants, à l'instar de la famille Franklin, semblent avant tout mûs par une volonté de découverte, au delà des dangers que pourraient entraîner leurs recherches : n'est-ce pas légèrement de l'inconséquence que trois générations d'une même famille s'obstinent à mettre au point un sérum d'invulnérabilité ? Au final, le progrès n'est que ce que nous en faisons. Il s'avère cependant que les différents protagonistes du film nous montrent qu'il y a du bon comme du mauvais, et que nous semblons incapables de vivre sans conflits.
Des personnages, j'ai particulièrement apprécié Darwin (Philippe Katerine), le chat bavard et lettré, qui apporte une touche de gaieté et d'humour manquant à Avril. Julius, pour sa part, est clairement le portrait craché de Renaud jeune et Prosper "Pops" (Jean Rochefort), inventeur de grande classe (sa maison ! ) est un grand-père que nous rêverions tous et toutes d'avoir. Malheureusement, l'intrigue et les rebondissements m'ont été trop prévisibles pour que la réussite soit totale. Mais ne boudons pas notre plaisir : l'univers d'Avril et le Monde Truqué est riche et prenant, méritant que l'on prenne le temps d'y plonger.